Ciné-piano



CINÉ-PIAN0 : « HÄXAN » AVEC ROMAN ZAVADA, compte-rendu rédigé par Marie-Luce Ramsay

Contexte

Dans le cadre du cours Histoire et esthétique du cinéma, nous avons eu la chance d’assister à la prestation du pianiste Roman Zavada, qui accompagnait musicalement le film muet Häxan (1922) de Benjamin Christensen, à la salle Sylvain-Lelièvre le 29 février dernier. Il est important de mentionner que la démarche de l’artiste repose sur l’improvisation. L’expérience fut des plus impressionnantes!

Une modernité déconcertante

Le film Häxan de Benjamin Christensen parle de sorcières, de Moyen-Âge, de religion; au travers de tout ce feuillage, une lueur de féminisme brille. Christensen compare le traitement inhumain réservé aux femmes de l’époque médiévale avec la réalité féminine de 1922 de façon brillante, claire et assumée. Il met de la lumière sur un tabou de son époque, à savoir le sort des femmes qui souffrent de troubles mentaux en ouvrant la porte sur un monde moderne, et il le fait de manière artistique en présentant clairement sa thèse et en nous offrant des arguments soutenus et réfléchis.

Tout d’abord, gardons en tête que la modernité à laquelle je fais allusion s’applique à l’année 1922 et non à 2024 (une société évolue en un siècle! Ou pas, selon le point de vue). Pour un spectateur de 1922, se faire dire que la femme « d’aujourd’hui » n’est pas plus heureuse qu’elle ne l’était autrefois, que la torture n’est que mieux cachée; c’est comme recevoir un coup de pelle dans le front. Personne ne veut être confronté à cette démoralisante vérité de l’époque, mais Benjamin Christensen nous raconte une histoire réaliste et fidèle aux évènements du passé, en plus d’appuyer sa thèse avec plusieurs exemples et comparaisons entre le Moyen-Âge et le contexte des années 20 au Danemark (et dans le reste de l’Europe). La démonstration des techniques de torture anciennes et des pratiques médicales dites modernes est un excellent exemple de comment les intentions ont peut-être changées, mais aussi comment l’exécution reste douteuse. Hier, la femme se chicanait avec le clergé, aujourd’hui c’est avec la loi.

Son et lumière!

Un peu de vocabulaire technique maintenant, car le montage de l’œuvre démontre aussi une grande modernité. Plusieurs effets spéciaux étaient nouveaux pour l’époque ou peu utilisés : la superposition d’images, le stop-motion de même que l’image inversée. Ces effets apportent un vent de fraicheur et de fantaisie au film; ce qui ne fait que démontrer l’expertise du réalisateur. Et que dire du travail sur la lumière, elle qui est si différente dans les pays d’Europe du Nord. Christensen réussit à créer des contrastes magnifiques pour dramatiser les visages de ses actrices, comme celui de Maria dans la scène du procès inquisitoire!

Si le film m’a grandement impressionnée, c’est aussi et surtout à cause de la prestation de Roman Zavada qui est venue rythmer un film muet contenant tout de même certaines longueurs. Mais la musique, parfois calme et parfois endiablée du pianiste, dynamisait grandement la projection. Cette prestation en valait vraiment la peine, je me remémore encore les notes graves et lourdes que Zavada lançait lorsqu’on apercevait le diable en gros plan à l’écran (incarné par Christensen lui-même!). Si vous avez la chance de croiser cet artiste incroyable lors de ses prochains ciné-pianos (voir son site Internet), ne ratez pas cette chance!