L’accident mérité (monologue théâtral), par Myriam Landry

Deux autos viennent de se rentrer dedans. Dans l’auto rouge, c’est un homme, dans la blanche, c’est une femme. Je crois qu’ils vont bien, mais j’ai peur. Le visage de l’homme me dit quelque chose. Il est au téléphone. La femme se tient le bras, mais elle pleure pas. J’ai mal pour elle. Quelqu’un lui demande s’il faudrait appeler quelqu’un d’autre. À côté de moi, j’entends un monsieur dire « Of course, c’est une madame ». J’entends son ami dire juste après : « Qu’a reste dans son char, on veut pas la voir! ». J’apprends par la foule que la femme doit partir en ambulance. Les deux hommes se mettent à ricaner, l’un deux vient de dire : « Femme au volant, mort au tournant ». Je ressens une émotion forte. Je saurais pas dire laquelle, c’est comme une montée d’adrénaline mais mélancolique. Je me dis dans ma tête : « Pauvre elle, elle s’efforce de sortir de son char tout cabossé pour avoir un minimum d’aide de la part des passants, mais ce qu’elle reçoit en retour l’amoche encore plus. »  

On dirait qu’elle sait pas quoi faire. L’homme, lui, y’a rien, seule sa voiture est amochée. J’en déduis que c’est une voiture de luxe par son expression et les remarques des gens. On lui offre de la sympathie. Comme s’il venait de perdre un être cher. J’ai pas vraiment vu ce qu’il s’était passé, mais je crois que l’homme a voulu remonter une rue à sens unique. Ils se sont rentrés dedans par le capot. On dirait que le monde s’est figé à l’entour d’eux. Tous les témoins restent où ils étaient pour voir la suite. Des «woereux» comme dirait mon père. Les autres voitures derrière eux commencent à faire demi-tour pour emprunter un autre chemin.

Je suis contente. Je reconnais enfin l’homme. C’était mon employeur il y a cinq ans. Bastien. Je suis pas sûre de pouvoir le considérer comme une bonne personne. Il nous a toutes faite chier avec ses commentaires dégueulasses. « Damn Marie, ce pantalon-là te va à merveille, on va faire plein de ventes aujourd’hui, ça a l’air » ou « For real, si je devais me perdre sur une île déserte pis que je devais prendre juste trois choses avec moi, je vous prendrais toutes les trois. Comme ça le ménage est fait, la bouffe aussi ,pis j’ai trois plotes à moi tout seul». Il le méritait cet accident-là. Avec son ostie de beau char qui coûtait tellement cher qu’il arrivait même pas à toutes nous payer comme y faut. Je trouve ça juste plate pour la femme qui a rien demandé. C’est bizarre. Je me souviens d’avoir fait un vœu du 11h11 contre lui mais je l’avais fait en blague. J’aurais jamais voulu qu’il lui arrive quelque chose de grave. En fait, ça, c’était avant qu’il agresse mon amie. J’ai tout vu, elle pliait un chandail quand il est arrivé par derrière, il l’a prise par les hanches et il a fait se cogner ses fesses contre son pubis, quatre fois. Je me souviens encore de son regard de détresse. Je suis contente que cet accident-là soit tombé sur lui. Si je pouvais, j’irais moi-même cogner sur son beau char rouge écarlate. Ça lui ferait jamais autant de dommages qu’il nous a faits, mais ce serait un début.

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