Dans le cadre du cours Analyse filmique donné en première session, les étudiants.es ont eu à réfléchir à la question suivante : le film anti-guerre existe-t-il vraiment? Pour y arriver, ils/elles ont vu le film Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick ainsi que All Quiet on the Western Front (2022) d’Edward Berger, dans le cadre de notre partenariat avec le Goethe-Institut de Montréal sur le cinéma allemand.


Full Metal Jacket, un film anti-guerre sorti en 1987, a été réalisé par Stanley Kubrick, avec la collaboration de Michael Herr et Gustav Hasford. Ils se sont basés sur The Short-Timers, un roman de guerre publié en 1979, écrit par Hasford, qui évoque son expérience en tant que vétéran du corps des Marines dans la guerre du Vietnam. Le film se divise en deux parties distinctes : la première se concentre sur l’entraînement des Marines et la seconde suit ces mêmes soldats au Vietnam.
All Quiet On The Western Front est un film allemand sur la Première Guerre mondiale, réalisé par Edward Berger, qui existe en trois versions : une de 1930, une de 1979 et une de 2022. Je vais m’attarder sur la plus récente pour cette analyse. Cette dernière est adaptée du roman d’Erich Maria Remarque et propose une vision moderne des atrocités de la Première Guerre mondiale. Le film décrit le traumatisme physique et mental des soldats allemands pendant la guerre ainsi que leur détachement de la vie civile.
Impact psychologique
I must shoot straighter than my enemy, who is trying to kill me. I must shoot him before he shoots me. I will. Before God I swear this creed: my rifle and myself are defenders of my country, we are the masters of our enemy, we are the saviors of my life.
Joker – Full Metal Jacket
Tout d’abord, les deux films présentés sont clairement anti-guerres. La chanson Hello Vietnam au début de Full Metal Jacket nous avertit déjà du changement de caractère que vont subir les personnages : Goodbye my darling, hello Vietnam. A hill to take, a battle to be won. Durant la première partie, le film se concentre sur la torture psychologique que subissent les recrues. On ne sait rien d’eux ; le seul aspect d’individualité qui leur est donné réside dans leurs surnoms. Mais encore, ces noms sont rattachés à leurs traits physiques, ce qui est une manière de les dénigrer. Les insultes du sergent chef ne sont rien d’autre que de l’intimidation qui pousse les jeunes à douter d’eux-mêmes et de leur valeur. Il veut annihiler leur personnalité, les rendre antipathiques et leur enlever toute émotion. Leonard « Gomer Pyle » en est un bon exemple : après avoir subi trop d’abus de la part du sergent Hartman et de ses camarades, il n’avait plus peur de rien, ni de la mort, ni de prendre la vie de quelqu’un. L’entraînement du sergent s’est retourné contre lui…
Plusieurs scènes dans All Quiet On The Western Front sont filmées en travelling pour que le public se sente immergé dans l’histoire et soit anxieux pour les personnages. Cela ajoute du suspense. D’une part, lorsque Paul Baümer, le jeune soldat allemand, questionne l’étiquette sur le vêtement qui lui est offert, portant le nom Heinrich Gerber, il se fait dire que la veste était trop petite pour l’autre. Mais on sait bien, grâce au montage époustouflant du début, ce qui lui est arrivé et qu’il s’agit d’un mensonge pour le manipuler à rester. L’habit en question appartient à un autre jeune soldat allemand, mort au combat celui-là. D’autre part, le changement d’humeur est impossible à manquer : les jeunes étaient enthousiastes à l’idée de se battre pour leur pays, ils chantaient, se faisaient des blagues, riaient et souriaient. Mais, contrairement à ce qu’ils avaient été convaincus à croire, Paul réalise vite la réalité liée à la brutalité du combat. La première perte met en lumière sa dévastation émotionnelle et souligne que survivre à la guerre n’est pas une question de compétence, mais de chance. Le film met également en avant la souffrance associée aux traumatismes et au désespoir. Prenant Tjaden Stackfleet comme exemple, après avoir été blessé au pied, il prend sa propre vie, alors qu’il avait de grandes chances de survivre. Cela prouve que même ceux qui survivent sont marqués à vie.
Déshumanisation
Ensuite, dans le premier film que j’ai présenté, les toilettes n’ont pas de cabine ; les personnages vivent comme des animaux, des sauvages. L’armée a transformé ces jeunes hommes en machines de guerre. Le processus de déshumanisation est conçu pour que les recrues n’hésitent pas à tuer une fois la guerre commencée. Notamment, l’instructeur leur disait de prendre soin de leur arme comme s’il s’agissait d’une femme. Animal Mother avait I am death écrit sur son casque et le devient littéralement. Il dirige son groupe vers le sniper, et le Joker tue la jeune fille, perdant ainsi son innocence. Cependant, une dualité peut être observée chez le Joker : Born to kill est inscrit sur son casque, tandis que le symbole de la paix est sur son cœur. Cela montre comment Hartman a détourné son esprit, mais le Joker a conservé son cœur. Enfin, dans la deuxième partie, les Vietnamiens restent en arrière-plan, ce qui donne un sentiment de détachement. Puis, la dernière scène, où les soldats chantent Mickey Mouse, une chanson d’une émission pour enfants, offre un contraste entre une violence extrême et une mélodie douce et enfantine, saisissant la banalité des meurtres dans le film.
Une dualité se retrouve aussi chez Paul Baümer : après avoir tiré sur un soldat français, il tente de le sauver, malgré le fait qu’il soit déjà trop tard. De plus, les pertes brutales de camarades soulignent la souffrance et la frayeur, mais aussi l’indifférence croissante des soldats face à la mort. Les ordres viennent de personnes en position d’autorité, sans considération pour la vie des soldats ; par exemple, ils sont renvoyés au combat alors qu’ils croyaient pouvoir enfin rentrer chez eux grâce à la signature de l’Armistice. La déshumanisation est également accentuée par les angles de caméra, parfois en plongée, faisant paraître les soldats comme des proies dans un grand jeu qui les dépasse.
Ne glorifie pas la guerre
Finalement, dans le film de Kubrick, la fragilité mentale des hommes remet en question l’idée que l’armée crée des héros. Il montre que les pertes, peu importe la raison de la guerre, n’ont aucun poids comparé aux conséquences du conflit. Cela peut être comparé aux scènes de bataille dans le film d’Erich Maria, qui sont remplies de violence et de mort, peignant la guerre comme une destructrice de vies, plutôt que le théâtre d’actes héroïques. La manipulation et la désinformation des jeunes par les autorités, qui promettent gloire et honneur, se transforment en désillusion, reflétant comment la guerre est souvent présentée comme une solution, tandis qu’en réalité, elle n’apporte que destruction et douleur. Le film utilise également des visuels puissants en insérant des séquences de bombardement en plans très larges pour illustrer la destruction des paysages et de la nature, créant une désolation.
Les deux films sont un fort rappel que la guerre n’est pas un événement triomphant, mais une tragédie qui affecte gravement tout le monde. De toute évidence, ces films ne célèbrent pas la guerre, se contentant de faire ressortir ses atrocités et son absurdité.
If a story seems moral, do not believe it. If at the end of a war story you feel uplifted, or if you feel that some small bit of rectitude has been salvaged from the larger waste, then you have been made the victim of a very old and terrible lie.
Tim O’Brien, écrivain vétéran du conflit au Vietnam
Conclusion
En conclusion, Full Metal Jacket et All Quiet On The Western Front sont des films anti-guerres qui critiquent brutalement la nature des conflits armés. Ils dénoncent les impacts psychologiques horribles non seulement sur ceux qui y participent, mais aussi sur le reste de la population. Ils explorent la déshumanisation subie par les soldats, exposant comment la violence et le conditionnement militaire leur enlèvent leur humanité. Ces œuvres révèlent la réalité sombre de la guerre en nous amenant à réfléchir sur ses horreurs plutôt que sur sa fausse glorification.
War is hell, […] War is nasty; war is fun. War is thrilling; war is drudgery. War makes you a man; war makes you dead.
Tim O’Brien.
