I Saw Three Black Lights : un voyage de révélations par Juan Martin Patino Rinco

Dans le cadre du cours Analyse filmique (première session), les étudiants.es ont eu la chance de participer à l’édition 2024 du FNC (Festival du Nouveau Cinéma) et de rédiger des critiques pour la revue Le fol espoir

Un récit qui va bien plus loin que le film de drame classique, c’est ce que I Saw Three Black Lights (2024) propose. Dans son troisième long-métrage, Santiago Lozano Àlvarez met à l’image la réalité troublante des jungles colombiennes. Une histoire simple, pourtant touchante, d’un homme âgé nommé José faisant le deuil de son fils, en cherchant un lieu paisible pour trouver sa propre mort. Cependant, sa quête de la paix ne sera pas sans obstacle et, étonnamment, la nature n’en est pas un, elle est plutôt une alliée ici. Les cartels et les paramilitaires, en plus d’avoir assassiné son fils, ont envahi la région pour en abuser de ses ressources, causant de nombreux problèmes aux habitants de la jungle. C’est donc l’aventure d’un homme qui essaye d’arriver vivant au moment de sa propre mort, à travers un monde profondément blessé.

Un portrait de société

Cette œuvre porte un message profond qui remet en question les décisions qui ont amené le capitalisme à dominer le monde. Ce film réfléchit à l’idée que l’orgueil démesuré de l’homme mène les sociétés à leur perte. Néanmoins, la direction artistique se concentre sur le peu de calme que l’on peut trouver, alors que le scénario nous rappelle constamment nos erreurs en tant que mauvais voisin de la nature. Un contraste inoubliable avec une direction photo éblouissante montrant la nature sous ses plus beaux jours.

Celle-ci vise à précisément imiter l’humidité de la jungle, tout en embrassant ce qui n’est pas artificiel, faisant usage d’un jeu d’ombres et de noirceur pour bien illustrer la solitude du personnage, seul être lucide dans ce monde. Le feu ou les lampes à l’huile sont les seules sources de lumière, et elles évoquent le passé, certes, avec une image légèrement granuleuse. Comment une vision aussi pessimiste peut-elle être aussi magnifique? C’est exactement l’intention du film, on veut nous faire douter de notre besoin de progrès par cette mise en valeur d’un retour aux sources. Détruire le monde pour combler nos besoins superficiels en valait-il la peine?

Le scénario veut planter ces questions dans nos têtes, en nous exposant à répétition à des exemples d’actes inconcevables de malhonnêteté, qui auront coûté la vie à plusieurs, pour quelques liasses de billets en plus. Je remarque d’ailleurs dans cette œuvre une critique indirecte de la société de consommation, pas spécialement par le comportement de personnages, bien qu’ils soient majoritairement responsables (excluant les antagonistes), mais dans le rythme du montage du film. On ne s’abstient pas d’allonger les plans et de maximiser le silence, on ne tente pas ici de retenir l’attention du spectateur, on veut spécifiquement l’inciter à penser, à lui laisser le temps d’analyser chaque scène et la signification de celle-ci. À mon avis, c’est une faiblesse, c’est à se demander si l’œuvre aurait pu être raccourcie, l’effet voulu est compréhensible, mais on surexploite légèrement la manipulation du temps.

Les yeux de l’innocence

Pour soutenir une thèse aussi forte, un messager brillant : Jesús María Mina. Un acteur sans historique. Quoi qu’il en soit, sa performance est sans faute, de par son incarnation d’une tristesse qui le consomme. Il joue la persévérance à travers la souffrance dépourvue d’espoir, un paradoxe psychologique qui mène celui-ci à écraser les scènes en se servant du vide intérieur du personnage. De plus, on souligne la dissociation qu’a José avec le reste des habitants, avec ses rapports courts et froids qu’il entretient avec eux. On nous ouvre les yeux de façon à voir les choses avec ceux du protagoniste comme guide, non pas en se voyant en lui.

Bref, I Saw Three Black Lights est avant tout une dénonciation directe du capitalisme et de la société moderne dans son entièreté. Une expérience qui demande de l’attention et qui pousse la réflexion ouvertement. Avec une beauté naturelle si exposée, il est difficile de ne pas se faire emporter dans ses plans sublimes de la jungle colombienne. Une œuvre convaincante de Santiago Lozano Àlvarez qui crée de l’anticipation pour de prochains projets et qui motive à retourner sur ses anciens.

8/10

I Saw Three Black Lights. Film de drame de Santiago Lozano Àlvarez. Avec Jesús María Mina. Colombie, 87 minutes.

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