Jakon der Lügner : quand le mensonge devient une œuvre d’art par Abdelaziz Benazzouz & Thea Miron

Dans le cadre du cours Analyse filmique donné en première session, les étudiants·es ont à assister à une représentation spéciale du film allemand Jakob der Lügner (Jakob le menteur) de Frank Beyer dans le cadre de notre partenariat avec le Goethe-Institut de Montréal sur le cinéma allemand. 

Et si la vérité n’était pas toujours la meilleure des solutions ? C’est dans son œuvre cinématographique Jakob der Lügner que le réalisateur Frank Beyer explore cette question. Le film raconte l’histoire de Jakob, un homme juif parfaitement ordinaire, qui prétend entendre des nouvelles encourageantes à la radio concernant la guerre, au cœur d’un ghetto juif. Ce geste, à la fois bienveillant et risqué, pèsera graduellement sur les épaules du protagoniste. Jakob der Lügner, étant la seule production est-allemande à avoir été nommée aux Oscars, ne se contente pas seulement d’explorer les dilemmes moraux liés au mensonge de manière captivante. La cinématographie, particulièrement efficace, renforce également l’atmosphère oppressante du ghetto, soulignant alors le désespoir ambiant et l’urgence de la survie.

La thématique du mensonge : une arme à double tranchant

La thématique du mensonge dans le film est explorée avec une telle finesse qu’elle offre alors une dualité qui enrichit l’histoire. En effet, d’un côté, l’acte de Jakob est présenté comme bienveillant. Il espère offrir une lueur d’espoir dans le ghetto et protéger ses camarades, comme ce qui est fait dans le célèbre film de Roberto Benigni La vita è bella (La vie est belle), sorti une vingtaine d’années plus tard. Cependant, Frank Beyer ne s’arrête pas là. Il présente également une perspective troublante à mesure que le mensonge de Jakob se concrétise. Ce dernier se lance dans une série de prises de risques mettant en péril non seulement lui-même, mais aussi sa communauté. Cette dualité invite le spectateur à s’interroger sur les deux dimensions du mensonge, rendant l’expérience filmique encore plus humaine.

La cinématographie : un reflet de l’oppression

L’histoire que raconte Jakob der Lügner en est une de faux espoirs et d’impuissance face à un monde qui a tourné le dos à une partie de sa population. La cinématographie aide à construire l’univers tragique du film de plusieurs façons. La couleur brune, ainsi que le beige, se retrouvent abondamment dans les plans du long métrage, que ce soit par la présence d’un mur délabré qui cadre les personnages, par les vieux bâtiments qu’arbore le camp ou par les vêtements que portent les détenus. L’utilisation de ces couleurs apporte à l’histoire un ton sinistre, dépourvu de couleurs vives, qui rappelle aux spectateurs les conditions déplorables de vie auxquelles ces gens faisaient face. Ceci permet aussi un contraste puissant entre les séquences de flash-back qui se passent avant la guerre, où les couleurs sont présentes et où l’atmosphère est plus joviale.

(Gare aux divulgâcheurs pour ce paragraphe)

De plus, ce choix artistique renforce l’impact des plans de forêt verte qui apparaissent à la fin, lorsque les détenus sont transportés en train vers un futur indéterminé. Il est ironique que le paysage le plus coloré vu durant toute la durée du film soit associé à un avenir incertain et possiblement tragique. Cette fin laisse un goût amer dans la bouche du spectateur; ainsi, le réalisateur a bien fait son travail. Le film utilise également de nombreux plans rapprochés pour cadrer les personnages, permettant de discerner chaque émotion transmise par Vlastimil Brodský, l’acteur principal. Nous scrutons ainsi les personnages comme sous une loupe, les rendant plus humains et plus attachants.

Bref, Jakob der Lügner n’est pas un film qui a été nommé aux Oscars pour rien : le film utilise la composition de chaque plan pour renforcer l’histoire. Voilà le travail de vrais cinéastes!

Jakob der Lünger. Film dramatique de Frank Beyer. Avec Vlastimil Brodsky, Erwin Geschonneck, Henry Hübchen. Allemagne. 1974. 100 minutes.

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