Parfois, ses flammes sont de simples beautés, de petites taches de lumière dans la pénombre des arbres. Les animaux utilisent les résidus de cendre pour y voir quelque chose, les insectes s’y tapissent lors des nuits glaciales. Les jours passent, et les cendres se transforment en champignons, en petites tiges multicolores qui se nourrissent de la terre brulée, de l’herbe morte.
Parfois, ses flammes sont des laideurs qui font fuir. Elles sont presque invisibles dans les rayons du soleil et, de loin, elles ressemblent à des incendies. Les animaux en tremblent de peur et les oiseaux se mettent à piailler, répétant la nouvelle à qui veut bien les écouter : regardez, regardez, il y a un renard en feu, un animal qui promet la destruction des arbres ! Ses flammes sont vues comme mauvaises, nocives et Willy, Willy n’arrête pas de courir.
S’arrêter serait écouter les voix qui lui murmurent qu’il est un danger. S’arrêter serait remarquer tous ceux qui courent loin de lui. Il n’y a que les lucioles qui restent, ses amies fidèles, car elles se partagent la même lumière.
Willy court depuis tellement longtemps qu’il ne reconnait aucun lieu et aucun cours d’eau. Il court depuis si longtemps qu’il ne remarque jamais les petites empreintes de terre brûlées qu’il laisse derrière lui. Il court depuis si longtemps, en se pensant destructeur, mais tout ce qu’il laisse derrière lui est la vie.
Les bleuets de cette forêt existent pratiquement tous grâce à Willy, mais il ne le sait pas. Il court toujours. Les seules pensées dans sa tête sont la destruction qu’il provoque et la fierté d’être le seul être doté de tant de splendeur.
Un jour, pourtant, il doit s’arrêter, car il arrive à l’orée de la forêt, là où plus rien ne subsiste d’important. Pour la première fois de sa vie, il s’arrête pour autre chose que dormir. Même en mangeant, il ne s’arrête pas, et son sommeil est si soudain qu’il s’endort presque instantanément, blotti dans les dédales de troncs d’arbre. Les oreilles rabattues sur sa tête, il doit faire face à ce qu’il a laissé derrière lui.
Ses yeux se plissent lorsqu’il ne constate pas cette destruction que les oiseaux promettaient. Il n’y a derrière lui que des petites pattes, des petites traces noircies par les flammes. Mais rien ne s’est étendu, rien n’a été détruit. La curiosité l’emporte et il revient sur ses pas pendant plusieurs heures. Plus ça avance et plus les petites traces de pattes prennent vie. Des bleuets, des champignons, des fleurs, des insectes. Certains petits insectes ont même construit de petites maisons de cendre et on peut les entendre chanter à tue-tête des chansons pour la vie. Ils se tiennent par la main, et ils dansent, cuisinant les autres plantes qui ont poussé dans la cendre. Une harmonie de la vie s’est créée, et chacun semble simplement bien vivre, né dans la mort.
Ému, il continue encore et encore et partout, il constate que la vie ne fait que se développer davantage. Ses jambes sont douloureuses, mais il ne peut pas s’arrêter. C’est à la rivière, une de ces nombreuses rivières qu’il a déjà traversées mais dont il ne garde pas les noms, qu’il s’arrête. La nuit s’est couchée.
Les troncs d’arbres l’appellent et le sommeil l’étourdit, mais la fascination le rend obsédé. Il veut passer ses nuits et ses jours à retracer tous ses pas, il veut exister pour eux, pour voir tous ces êtres vivants nés de ce qu’il pensait être une malédiction. Il ne savait pas, mais maintenant tout est clair. La forêt a toujours continué à vivre, car il ne l’a jamais dérangée. Jamais une seule fois a-t-il nui à cette beauté qui l’accueille sans rechigner. Il se dirige vers les troncs d’arbres, se promettant de cesser de courir. Il n’en peut plus de courir mais, maintenant qu’il sait ce que ça créera, il courra les oreilles pointées vers le ciel, heureux.