Viêt And Nam : la tragédie dans le rêve par Noëllie Benoit

Dans le cadre du cours Analyse filmique (première session), les étudiants.es ont eu la chance de participer à l’édition 2024 du FNC (Festival du Nouveau Cinéma) et de rédiger des critiques pour la revue Le fol espoir

À travers l’histoire d’un couple homosexuel, Việt and Nam, réalisé et scénarisé par Trương Minh Quý, parle de sujets lourds, tels que le trafic humain et les conséquences de la guerre sur les civils. Projeté pour sa première mondiale au Festival de Cannes le 22 mai dernier, le film fait la tournée des festivals, tels que le « Toronto International Film Festival » (TIFF), le « BFI London Film Festival », le « New-York Film Festival » (NYFF) et le Festival du Nouveau Cinéma de Montréal (FNC). Malgré les nombreux défis auxquels l’équipe de tournage a dû faire face, dont le ban imposé par le Département du Cinéma du Viêtnam, le film se démarque et se fait même nominer plus d’une fois lors de ses présences en festival, montrant le succès qu’il a auprès des spectateurs. Le long-métrage raconte l’histoire de deux amants travaillant dans une mine de charbon, Việt (Đào Duy Bào Đįnh) et Nam (Phąm Thanh Hài), tentant de chérir le temps qu’ils ont ensemble avant le départ de Nam, qui compte traverser l’océan pour y trouver une meilleure vie. Cependant, avant de quitter, il faut qu’il retrouve le corps de son père, un soldat disparu durant la guerre du Vietnam, que sa mère cherche désespérément à trouver. Ainsi, à l’aide de ce film dramatique, Trương Minh Quý cherche à déterrer les souvenirs et l’héritage d’une nation, rendant par le fait même certains natifs nostalgiques.

Un film rêvé

Việt and Nam est rythmé de manière plutôt lente, et la majeure partie de ses plans sont sombres, ce qui peut tenter les spectateurs à se laisser aller et à somnoler, mais je pense que c’est exactement ce que le réalisateur voulait produire comme effet. De cette façon, les spectateurs sont encouragés à rêver l’histoire des deux jeunes hommes au lieu de simplement la regarder. De plus, le fait que le film soit entièrement filmé en 16mm ajoute une touche de nostalgie légère, qui, accompagnée de la cinématographie bleue et noire, rend le tout sublime. Ainsi, le grain présent sur l’image aide à nous replacer à l’époque des événements, soit en 2001, et les couleurs bleu et noir représentent à la fois la mélancolie et la sexualité (qui illustrent parfaitement la relation qu’ont Việt et Nam) ainsi que la confiance et l’incertitude, voire la mort à laquelle ils doivent faire face au quotidien.

L’esthétique généralement obscure (couleur noire) de la mise en scène et de la direction photo du film est tout simplement à couper le souffle. Que ce soit le sol noir de la mine couvert de quelques points de couleur métallique (probablement des minerais) qui semble devenir aussi beau qu’un ciel étoilé lorsque les amants sont ensemble. Ou encore, les étincelles que produit une scie mécanique derrière eux lorsque l’un d’entre eux nettoie l’oreille de l’autre sur un ralenti splendide qui laisse le spectateur admirer la beauté de la séquence et par conséquent, la beauté de leur relation secrète. Car, oui, ils ne se permettent d’être intimes que lorsqu’ils sont seuls, dû à la fermeté de leur société sur les relations LGBTQ+.

Scénario tragiquement réaliste

Lors des questions et réponses après la projection du film, le membre de l’équipe qui était présent pour répondre (malheureusement son identité m’échappe) a mentionné l’envie de parler du trafic humain dans Việt and Nam.  L’idée viendrait du cas tragique où 39 Vietnamiens immigrés clandestinement avaient été retrouvés morts asphyxiés dans un camion au Royaume-Uni en 2019. Malheureusement, dit-il, le nombre d’immigrés clandestins retrouvés morts chaque année ne se compte même plus en chiffres tant il y en a.

C’est donc par Nam, voulant quitter le pays pour trouver une meilleure vie, que toute l’idée s’est réalisée. Les scènes vers la fin du film le montrant s’entraînant à survivre à une immigration hors norme ne sont que précurseurs de la scène finale.Décider d’intégrer des plans de Nam enfermé dans un sac plastique flottant sur l’eau pendant qu’une autre personne le traîne d’une rive à l’autre d’un lac, ainsi qu’un plan de « l’instructeur » leur apprenant à briser et à débarrer les portes d’un conteneur montre déjà que le groupe a très peu de chances de s’en sortir.

C’est donc ainsi qu’après plusieurs courts-métrages et deux longs-métrages, Trương Minh Quý lance son troisième long-métrage Việt and Nam [2024] après plus d’un an de préproduction. Il a été révélé durant le moment de questions et réponses de la première projection au FNC, qu’il avait pris plus d’un an à trouver tous les lieux qu’il voulait intégrer dans le film. Cette grande persévérance et le dur travail de toute l’équipe méritent une bonne ovation, car le résultat est un chef-d’œuvre cinématographique incroyablement hypnotique.

10/10

Việt and Nam. Film dramatique de Trương Minh Quý. Avec Đào Duy Bào Đįnh, Phąm Thanh Hài, Lê Viêt Tųng et Nguyên Thį Nga. Viêtnam, Philippines, Singapour, France, Pays-Bas, Italie, Allemagne, États-Unis. Vietnamien, sous-titré en anglais. 129 minutes.

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