Chatière, par Guillaume Larouche

Je ne sais plus trop quel jour nous sommes mais, en tout cas, mes compagnons humains sont partis. Étendu de tout mon long, je regarde la fenêtre d’un air pensif. Je sais qu’ils reviendront bientôt. Lorsque je suis seul comme cela, je m’amuse avec ce que je peux. Par exemple, cette fausse petite souris qui me dévisage depuis tout à l’heure.

Je saute sur celle-ci. Elle me glisse des pattes. « Là, elle l’a cherché. Elle me provoque c’est certain » que je pense en la fixant. Après quelques secondes, je me lasse. Alors, je déambule dans la maison. Je gratte les portes fermées au cas où elles s’ouvriraient par miracle. Soudain, j’entends la clé tourner dans la serrure de la porte. Enfin! Je commençais à me sentir seul. Je vais me poster face à la porte d’entrée pour accueillir mes compagnons, bien heureux, ravi même qu’ils soient de retour de leur expédition. Ils entrent dans la maison, leurs mouvements sont machinaux. Toujours les mêmes à chaque fois. Ça ne me déplait pas, je hais quand la routine change.

L’un d’eux m’ouvre la porte patio, et je m’élance dehors pour qu’à mon tour, je parte à l’aventure. Je sens le vent qui frappe les poils de mon dos qui se hérissent, je frétille, puis pars à la course jusqu’à la cour en descendant les escaliers quatre à quatre. J’atterris dans le jardin aux hautes herbes. Tapi sur le sol, je guette le moindre mouvement… Là! Je bondis en avant, mais, trop tard, l’oiseau s’est envolé. Tant pis! Je poursuis mon chemin en escaladant le mur blanc séparant mon havre de paix de la maison habitée par cette énorme bête brune et poilue. Tiens, voilà son jappement ahurissant. Je fais un détour par la forêt. Ici, le gazon est en hauteur et est retenu par de hautes tiges de bois.

J’entends, à travers les chants des oiseaux, un bruit de ruissèlement qui ne semble pas très loin. Je trottine jusqu’à la source du bruit pour déboucher sur une clairière bordée d’un ruisseau. Je m’arrête un instant pour boire un peu. L’eau claire reflète mon pelage noir lustré. J’observe mon reflet ondoyant. Subitement, un bruit vient briser le calme. Un bruit qui évoque un anneau de métal qu’on aurait échappé. Curieux, je décide d’aller voir, mais en restant prudent tout de même. Le poil de mon corps se hérisse comme jamais auparavant, et je sursaute lorsque je vois que, devant moi, se « tient » ce qui s’apparente à un torse de machine. En réalité, il était plus évaché sur une racine d’un de ces arbres nombreux dans cette partie de la forêt. « Il ressemble étrangement à un humain… », pensé-je. Cependant, il était vert-de-gris et parsemé de tâches orangeâtes un peu partout. Je renifle un peu autour, juste pour m’assurer que cette chose ne me tende pas de piège. Je suis tout de même attiré par cet étrange objet métallique. Il a un reflet tellement… envoutant comme ce point rouge qui apparait parfois chez moi. Je grimpe sur la clavicule métallique de l’immense torse. Je dois marcher à tâtons pour ne pas me coincer une patte dans ses plis chromés qui sont tous exposés. J’arrive sur son épaule et je vois, sur sa nuque, une étrange ouverture circulaire trop petite pour que je m’y introduise.

Un peu déçu, je décide de redescendre. J’atterris sur l’herbe d’un seul bond. En me promenant autour de la carcasse, je remarque un petit objet argenté qui git sur la mousse près de lui. On dirait une sorte de cylindre. Mon instinct félin me dit que ce machin et le torse qui gît au sol sont liés. Je le prends donc dans ma gueule et le transporte jusqu’au torse métallique. Je le traine un peu partout jusqu’à ce que je me rende compte que sa forme correspond parfaitement au trou circulaire que j’avais aperçu plus tôt sur la nuque de la machine. Lorsque j’introduis le cylindre dans la fente, un son sec et grave retentit puis s’interrompt tout d’un coup, créant un écho dans toute la forêt. La chose prend vie. L’angoisse s’empare de moi. Je saute en bas du torse et cours me réfugier derrière un bouleau, mais en restant assez près pour pouvoir observer la scène. Je suis curieux de nature que voulez-vous.

D’un coup, le sol sous mes pattes se met à se fracturer jusqu’au ruisseau que j’avais traversé plus tôt. Puis, la machine s’active et commence à se lever. Des plaques de terre se soulèvent tout autour, et je me rends compte que je ne voyais en fait que la partie émergée de la machine. En réalité, la plus grande partie de cette immense chose était enfouie dans le sol. Ou du moins, elle était là depuis tellement longtemps que la mousse et le gazon avaient pris le dessus sur elle au point de l’ensevelir. Complètement sortie de terre maintenant, la créature métallique se tient bien droite. Elle doit avoir la hauteur de deux humains au moins. De la fumée s’échappe de ses articulations et des roues dentées émettent des grincements à chaque fois que son grand corps bouge. Elle regarde autour d’elle, on dirait qu’elle cherche quelque chose… ou quelqu’un… Je me décide enfin à sortir de ma cachette. Aussitôt, la créature se penche vers moi lentement et en grinçant. La machine ouvre une cavité qui ressemble à sa bouche, mais je ne comprends pas ce qu’elle essaye de me dire. Elle émet un léger soupir après avoir parlé ce langage incompréhensible. Elle pose un genou au sol et me tend quelque chose. Je m’approche et je vois qu’au creux de sa main dénudée se trouve un objet noir que la machine met dans mon oreille gauche. « Salutations petit être », me dit-elle en souriant doucement de sa bouche métallique. Je sursaute. Je comprends ce qu’elle me dit! « Ce petit dispositif va nous permettre de mieux nous comprendre. » Mon ami géant me fait signe de le suivre. À chaque pas, le sol tremble.

Plus nous avançons, et plus la forêt se transforme en ville fantôme. De haut bâtiments gris s’élèvent de chaque côté du sol parsemé de gazon. Les rues semblent désertes, seul le sifflement du vent et les pas lourds de mon nouvel ami se font entendre. « Bienvenue à Polis ! C’était très achalandé ici, autrefois… » Il fixe le ciel d’un air nostalgique. Je regarde autour de moi, anxieux. « Excuse-moi, mais pourquoi tu m’emmène ici ? 

– C’est simple, tout ceci fut créé par tes amis, les humains. Cette rue, ces bâtiments, cette ville, moi, dit la machine sur un ton étrangement neutre.

– Ils sont passés où alors ?

– Partis détruire d’autres écosystèmes. Tu vois, les humains sont si obnubilés par leur désir d’expansion qu’ils en oublient même les inventions que leurs prédécesseurs avaient conçues. » En disant cela, il pointe sa poitrine trouée qui laisse passer quelques rayons de soleil.

On continue à marcher à travers la ville abandonnée jusqu’à ce qu’on débouche sur une sorte d’aire ouverte. Seulement, la nature a repris ses droits : les bancs et le petit pavillon sont couverts de mousse. « Tu vois, dit mon compagnon, cet endroit grouillait de robots et d’humains avant. On pouvait entendre les rires des enfants enjoués et les soupirs des parents fatigués se mêlant aux cliquetis des pas des robots de services. Une parfaite cohabitation… Viens, dit-il soudain, j’ai quelque chose à te montrer »

On déambule encore quelques instants lorsqu’on arrive devant un édifice qui semble plus imposant que les autres. La créature métallique entre à l’intérieur. Elle y active à gauche de l’entrée une sorte de grande boîte métallique étrangement brillante pour l’âge de cette ville en ruines. Le même son que lorsque j’ai activé mon compagnon tout à l’heure se fait entendre, mais il sonne dix fois plus fort que le premier, me perçant quasiment les tympans. Mon ami voit que je me tiens assis bien droit, pétrifié, sur le pas de l’immense double porte. Il s’accroupit et dit : « N’aies pas peur, j’ai quelque chose à te montrer. » D’abord hésitant, je finis par me convaincre de me lever. J’étire mes pattes avant, puis mes pattes arrière, avant de trottiner vers mon compagnon pour l’accompagner dans cet édifice lugubre. « Rendu là, j’espère qu’il y aura du thon » pensé-je tout haut.

On arrive dans une salle sombre et humide où des lumières s’allument au fur et à mesure suivant, semble-t-il, le rythme de mes pas. Des inscriptions qui me paraissent incompréhensibles parsèment les murs de la pièce : des sortes d’engrenages gigantesques menant à une ville, une forêt submergée par l’eau, un homme à quatre bras et à quatre jambes entouré d’un cercle en son centre. Divers dessins datant d’une époque antérieure ornent aussi cette fresque. Mon compagnon mécanique me désigne une boîte rectangulaire. J’ai un sentiment bizarre qui me parcourt le poil. « Voici le tombeau de notre créateur. » Je saute sur la grande boîte rectangulaire. J’y vois, dessiné sur sa partie supérieure, un très vielle homme à longue barbe. Il porte un étrange coussin sur sa tête et semble triste. Je regarde mon ami robotique d’un air inquisiteur : « Et ils sont partis où tes créateurs? »  Je m’approche de lui, il réfléchit longtemps avant de finalement soupirer de me répondre : « Ils ne sont plus de ce monde. »

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