Pourquoi écrire ? par Solène Côté

Effectivement, pourquoi écrire? Je dois avouer ne m’être jamais sérieusement posé la question jusqu’ici, car il m’a toujours semblé que la réponse allait de soi : l’humain a besoin d’écrire pour exister, un point, c’est tout. L’écriture fait tellement partie intégrante de ma vie et de la société dans laquelle j’ai grandi qu’il me semble inimaginable à présent que qui que ce soit puisse s’en passer. Lorsque je ressens une forte émotion, j’écris. Si je souhaite créer ou accomplir quelque chose, cela débute toujours avec l’écriture. Quand je veux transmettre une information à un contemporain, j’écris. Si j’analyse une œuvre, peu importe la forme qu’elle prend, je couche mes observations et réflexions sur papier. Lorsque j’angoisse quant à la possibilité d’être oubliée après ma mort, écrire m’apparaît comme la solution la plus évidente pour m’assurer qu’un fragment de moi subsiste même après que j’aie cessé d’être.

Et pourtant, récemment m’est venue cette interrogation qui m’a dévoilé la nécessité de mettre en mots l’importance et la pertinence de l’écriture de façon générale : pourquoi ne pas écrire? J’ai été étonné par la quantité de réponses potentielles qui me sont directement venues à l’esprit. Pour ne pas offusquer autrui. Parce que l’on peut certainement trouver plus productif comme activité. Parce que tous les sujets ont déjà été abordés sous tous leurs angles par de grands auteurs dont on ne peut même pas imaginer frôler l’expertise et l’aisance de la plume. Parce que ne pas trouver les mots justes est une énorme frustration dont on peut en fin de compte bien se passer. Parce que personne ne va nécessairement lire ce qu’on écrit, alors à quoi bon de toute manière?

Nonobstant ces vilaines pensées – particulièrement terrifiantes pour une auteurice amatrice telle que moi –, au fond de mon esprit persiste cette absolue certitude qu’écrire reste indispensable au sein des sociétés humaines. Il m’apparaît donc crucial d’enclencher cette réflexion sur la pertinence de l’écriture de manière générale.

L’écriture devrait donc, pour reprendre ma thèse de départ, constituer un aspect fondamental de l’existence humaine, cela me semble hors de tout doute. Bien que ce ne soit pas tout le monde qui ressente ce criant besoin de créer de la littérature pour simplement exister, il reste qu’écrire, ce n’est pas seulement créer des histoires rocambolesques de toutes pièces et les publier en espérant un engouement général autour de sa création; écrire, c’est aussi se saisir d’un certain contrôle de la concrétisation ou de la matérialisation de ses idées, c’est s’ouvrir à une infinité de remèdes à une infinité d’insatisfactions.

Écrire permet de décider de ses propres règles du jeu. En créant son univers textuel unique et personnel, l’écrivain devient le dieu de sa réalité : il peut la laisser telle qu’il la connaît ou bien la modifier ou même en fabriquer une qui lui est propre. Écrire est à la fois un acte de contrôle, de revendication, de performance, de création, de transfert d’informations ou d’idées, et de liberté; un acte social qui permet de présenter le fruit de sa réflexion à des tonnes d’autres êtres humains sans passer par l’intermédiaire de la parole. Il s’agit d’une formule gagnant-gagnant: d’un côté, l’auteur peut partager ce qui lui plaît, construire son message de A à Z, décider de la forme et du fond, de la manière de partager ses idées, de la valeur artistique qu’il leur donne, voire d’une certaine polysémie de son discours, et ce, avec pour seules limites celles du vocabulaire francophone (quoiqu’il ne soit pas rare que des auteurs inventent des termes par eux-mêmes lorsqu’ils trouvent que la langue actuelle est trop limitée pour leur création : on pensera notamment à Rabelais, Vian, Baudelaire, Roth et bien d’autres encore) et de ses propres capacités d’écriture; et d’un autre côté, le lecteur peut décider de prendre connaissance de l’histoire ou du message transmis au rythme qu’il préfère, le nombre de fois qui lui plaît et dans le contexte le plus propice pour lui.

L’écriture, qu’elle soit personnelle ou vouée au partage, peut répondre à d’innombrables besoins spécifiques à la condition humaine. Un besoin de mettre en mots des idées qui nous semblent trop désorganisées et brouillonnes; de partager une expérience; de créer pour autrui; de créer pour soi; de se rappeler d’une pensée ou d’un événement; de transmettre une information ou une connaissance; de fabriquer de l’art et de la beauté; de mettre en mots un sentiment que l’on trouve trop vague; de prendre du recul sur sa vie ou sur une situation dans laquelle on peut être impliqué de trop près; de laisser sa trace dans l’histoire de l’art en tant que membre d’une communauté; d’exprimer une opinion; de se détacher ou de se rapprocher de soi-même (tout dépendant des techniques d’écriture et des approches utilisées); de sublimer un ensemble de données; et cetera. La parole, elle, bien que très efficace en termes de rapidité de transmission de l’information, peut être limitante dans l’optique où elle est généralement immédiate et ne laisse pas beaucoup de temps aux interlocuteurs pour raffiner leurs idées et leur donner la forme qui leur convient le mieux – et même lorsqu’elle est préparée d’avance afin de pouvoir offrir ce caractère sophistiqué et polyvalent mentionné plus haut, elle passe souvent d’abord par l’écriture.

Impossible, donc, de transmettre une information claire et raffinée de manière durable sans l’écriture, car la parole s’oublie et les autres formes de communication ne sont pas assez spécifiques.

La question ici n’était initialement pas de savoir s’il était encore pertinent d’écrire à notre époque, mais je tiens tout de même à brièvement aborder ce sujet. Car, effectivement, l’interrogation se pose et s’impose : pourquoi encore écrire lorsque nos sociétés sont de plus en plus dominées par les arts de l’image (cinéma, photographie, jeux vidéo et ainsi de suite) et les réseaux sociaux? Est-il encore pertinent d’écrire des textes dits littéraires?

Aux questions complexes, des réponses complexes. Cela est évidemment très subjectif mais, de mon point de vue, tous les textes, quels qu’ils soient, recèlent une certaine valeur littéraire. J’aime aborder cela comme un spectre allant de zéro à un sur lequel, par exemple, le plus formel et carré des articles dans un quotidien se retrouverait proche de zéro et un poème à haute teneur en lyrisme se rapprocherait davantage de un; et pourtant, même sur une telle échelle, il me paraît inconcevable que quel que texte que ce soit se retrouve directement au niveau d’un zéro absolu. C’est pourquoi je trouve absurde l’idée que l’écriture puisse devenir obsolète dans un monde où le cinéma, les jeux vidéo ou les réseaux sociaux occupent une place de plus en plus importante : ces arts ne peuvent fondamentalement pas exister sans l’aide de l’écriture. Un scénario pour une série télé, un film ou un jeu sur console reste un texte littéraire. Une opinion partagée sur Twitter ou Facebook reste un texte littéraire. Le scénario d’une vidéo informative sur les réseaux sociaux ou d’un documentaire télévisuel reste un texte littéraire. La littérature constitue la fondation même de tous ces médias et, en conséquence, tous ces médias ne seraient rien sans la littérature. Peu importe l’époque et les technologies, l’être humain aura toujours le besoin de s’évader du monde réel, de partager des histoires, de témoigner de son histoire et de celle de la communauté et du contexte qui le voit évoluer, d’immortaliser des pensées et des sentiments, et j’en passe… Et cela n’est, du moins au moment où j’écris ces lignes, possible qu’en impliquant fortement l’écriture dans le processus.

Me voilà donc rassurée : l’écriture est et restera encore très longtemps une discipline, un médium de communication et un art indispensables au bon fonctionnement de nos communautés. La question qui se pose, à présent, est celle de la pertinence des écritures humaines dans un monde où l’intelligence artificielle apprend lentement mais sûrement à imiter le style humain dans ses communications textuelles. Mais ça, c’est une réflexion pour une autre fois…

Source : Wikimedia Commons

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