Isa s’arrêta devant Léonie et remonta son sac sur ses épaules tout en souriant.
-Hey! Qu’est-ce qu’on attend pour y aller, si on ne se dépêche pas on va manquer le bus!
Léonie soupira et se mit à tortiller une mèche de cheveux avec son doigt. Elle regardait l’écran de son téléphone et tapait rapidement sur le clavier.
-J’attendais les filles. J’en ai parlé à mes amies plusieurs fois cette semaine mais apparemment elles ne peuvent plus venir.
-Oh.
Isa hésita un instant, puis se lança.
-Est-ce que tu veux décaler? dit-elle, les yeux fixés sur les feuilles mortes tombant, secs et raides, autour d’elles. Il y a toujours une deuxième soirée la semaine prochaine. Si tu veux absolument y aller avec tes amies, on peut appeler et demander de remettre la réservation…
Léonie referma le clapet de son téléphone d’un geste brusque et le mit dans son sac à dos en peluche.
-Non. Ça va. On n’attendra pas une semaine de plus, ça fait trop longtemps qu’on en parle.
Elle se redressa ensuite et fit un petit sourire à Isa.
-Tu viens? On a un bus à prendre.
Isa secoua sa tête et ses mains avec excitation, et suivit en sautillant son amie à travers les files d’élèves attendant les autobus écoles sur le bord du trottoir, passant à toute vitesse à travers le stationnement en bloquant la file de voitures pour arriver à l’arrêt, juste au moment où le bus s’arrêtait devant elles.
Comme plusieurs autres élèves montaient, elles se tassèrent tout au fond, se serrant entre l’escalier et la porte de sortie, leur sac coincé entre leurs genoux et la main serrée autour du poteau le plus proche. Lorsque le bus repartit, elles manquèrent tomber l’espace d’une seconde, puis retrouvèrent leur équilibre aussitôt et se mirent à rire.
-J’ai tellement hâte d’arriver, dit Isa en s’appuyant sur une jambe puis l’autre en alternance.
Elle s’arrêta un moment pour se pencher. Elle ouvrit son sac et fouilla parmi ses cahiers jusqu’à tomber sur une feuille vert fluo un peu chiffonnée qu’elle tira d’entre les pages de son livre d’histoire. Elle se releva ensuite avec peine, tentant de ne bousculer personne dans le minuscule recoin. Isa tendit ensuite la feuille à Léonie.
-C’est quoi? demanda Léonie en tentant de déchiffrer ce qui était écrit.
-Le plan du manoir.
Léonie plissa les yeux pour lire le reste, mais abandonna rapidement et rendit la feuille à Isa. Celle-ci allait se pencher, lorsque l’autobus s’arrêta brusquement, lui faisant perdre l’équilibre. Elle se sentit tomber vers l’arrière, et son dos frappa la porte, qui s’ouvrit. Isa tendit la main sans trop savoir ce qu’elle cherchait à agripper, mais fut incapable de se retenir à quoi que ce soit. Elle glissa du sol vers l’extérieur, et au moment où sa tête allait s’écraser contre le trottoir, on la remonta d’un coup dans l’autobus.
La porte se referma et le chauffeur se mit à crier des injures; cependant, couchée au sol, l’oreille collée contre la crasse et les morceaux de graviers, seul le roulement du moteur parvenait à Isa.

Isa et Léonie se faufilèrent dans la foule pressée au bas des marches en se faisant pousser dans le dos par ceux qui entraient. Léonie tiqua et leva les bras pour resserrer l’élastique de ses cheveux. Ce faisant, elle frappa du coude la tête d’une fille habillée à la mode des années 80 qui lui tira la langue avant de s’éloigner. Léonie souffla du nez et se retourna aussitôt vers son amie.
-Il y a du monde partout; je me sens comme coincée entre deux lattes du plancher.
-J’ai une mauvaise nouvelle pour toi, dit Isa avec un petit sourire. On va se faire bousculer durant toute la nuit par des enfants sans supervisions et par d’autres adolescents qui n’en ont pas grand-chose à faire de toi.
-S’ils me touchent ils vont le regretter, dit la rousse en ricanant avant de sortir son téléphone à clapet pour l’ouvrir d’un coup sec. Elle se mit à taper sur les touches du clavier, la moue dédaigneuse.
Elle termina le paragraphe qu’elle tapait, la touche enter cliquant par-dessus les murmures en échos que projetait la foule, puis elle se mit sur la pointe des pieds pour tenter d’y voir plus loin par-dessus la marre de têtes. Elle saisit ensuite la main de son amie et lui lança «Viens» avant de jouer des coudes vers une petite pièce sans porte à droite de l’entrée qui n’était pas éclairée. Au moment d’y entrer, Isa trébucha sur quelque chose et Léonie la retint, mais lorsqu’elles cherchèrent des yeux un coupable, personne ne semblait faire attention à elles. Léonie soupira de nouveau et aida la petite frisée à se remettre sur ses pieds. Elles s’accotèrent alors dans l’encadrement de la petite pièce, où quelques personnes étaient dispersées, et fixèrent leur regard sur un grand homme à la barbe blanche et à la carrure imposante qui venait de monter l’escalier.
-Bienvenus! Dit-il en recouvrant les chuchotements.
La salle devint aussitôt silencieuse, et les têtes se retournèrent dans sa direction. Isa aperçut un garçon plus jeune sautiller sur place et ne put elle-même s’empêcher de secouer les mains.
-Bienvenus, recommença l’homme sur les marches d’une voix plus basse, à cette première édition du Manoir. Il s’agit de notre premier essai avec les zombis robotisés, et nous espérons que le concept fonctionnera assez pour revenir l’an prochain.
Il s’interrompit un instant, puis se racla la gorge et poursuivit en regardant en direction d’Isa et Léonie.
-Je demanderais à tous ceux et celles qui sont dans la pièce du côté de sortir. Notre équipe n’a pas encore eu le temps d’installer une porte, mais je crois qu’il devait y avoir des cônes devant pour en interdire l’entrée ?
Isa fronça les sourcils et se décolla de l’encadrement pour rejoindre la foule, suivit de son amie ainsi que des quelques autres qui s’étaient réfugiés dans le coin. En baissant les yeux, Isa remarqua qu’en effet, des cônes oranges tombés se trouvaient juste devant; elle devait avoir trébuché sur l’un d’entre eux.
-Merci. Les règles vous seront bientôt expliquées et on vous le répétera, mais je préfère vous dire tout de suite que cette pièce vous est interdite. C’est là que se trouve le panneau de contrôle ainsi que l’intercom relié à l’accueil. Sauf dans un cas nécessitant une intervention urgente, vous n’avez aucune raison de toucher quoi que ce soit, aussi si n’importe qui dans l’équipe vous voit y entrer, nous pouvons vous interdire de jouer et vous ramener à l’accueil, où vous attendrez simplement la fin de la soirée sur une chaise. Me suis-je fait comprendre ?
Son regard traina dans la salle et s’attarda à certaines personnes qui pouffaient de rire. Néanmoins, tous hochèrent la tête et certains marmonnèrent des «oui».
Isa jeta un coup d’œil vers la petite pièce sombre, puis se tourna vers Léonie.
-Je me demanda comment ça fonctionne, dit-elle. Est-ce que ça ressemble à dans un film ?
-Ça n’avait pas l’air très «technologie avancée», de ce que j’ai vu. On aurait dit un placard.
Isa hocha la tête et écouta la fin du discours de l’homme, qui leur souhaita une bonne soirée avant de descendre des marches et d’aller se placer à côté de deux autres personnes.
-Ça commence à être long, soupira Léonie en tapotant la poche de son pantalon où se trouvait son téléphone.
Isa regarda un autre homme monter sur les marches et débiter les mêmes règles qui se trouvaient sur le papier vert fluo d’une voix nasillarde.
Puis, on invita tout le monde à déposer leurs affaires dans un énorme garde-robe à gauche de l’entrée et, finalement, on invita les participants à se mettre en ligne devant un pupitre installé à la hâte, sur lequel se trouvait une pile de feuilles froissées – des décharges à signer.
Dans les bordures de son champ de vision, Isa vit les zombis sortir des murs et rejoindre tranquillement le centre de la pièce sans que personne ne semble en faire de cas. Isa observa, figée, le remarquable travail ayant été fait pour reproduire l’apparence de la peau humaine, ainsi que les mouvements en quelque sorte fluide. Léonie fronça les sourcils et se tourna pour voir ce qui accaparait l’attention d’Isa.
Elle laissa échapper un long cri qui figea l’entièreté de la salle.

Isa s’accotta contre la rampe pour reprendre son souffle. Derrière elle, Léonie était penchée sur elle-même, les mains sur les genoux, et sortait sa pompe pour inspirer.
-Tout le monde est en train de partir, dit Isa. On a dû manquer l’appel de départ.
Léonie expira et se redressa.
-Ça doit être pour ça qu’il n’y avait plus personne.
Les deux amies se regardèrent et rirent. Elles allaient prendre les escaliers, lorsqu’une sonnerie aigue retentit. Léonie sortit son téléphone de sa poche et ouvrit le clapet.
Isa attendit que Léo relève les yeux pour lui demander qui c’était.
-C’est les filles, répondit cette dernière.
Elle fit le geste de ranger son téléphone, se figea un instant, puis se retourna vers Isa en se mordant la lèvre.
-Je dois aller aux toilettes. Tu m’attendrais deux secondes ?
-Tu sais où elles sont ?
-Juste au coin du couloir ici ; j’ai vu le panneau en passant.
-Je t’attends, dit Isa en hochant la tête.
Elle s’assit par terre le dos contre la rampe et se mit à jouer avec la bordure effritée du tapis poussiéreux du couloir. En bas, le bruit des conversations diminua au fur et à mesure que la grande porte grinçante s’ouvrait pour laisser sortir des groupes d’amis encore sur l’adrénaline de la soirée relatant à répétition leurs pires frayeurs, traitant leurs crises de pleurs comme des victoires. Isa esquissa un sourire en tirant un bout de fil brunâtre qui lui tâcha les doigts.
-J’ai perdu une épingle, dit une fille en bas des marches. Je pense que je sais où elle est, est-ce que je peux aller la chercher ?
-Dépêche-toi, le camion part bientôt.
Isa se retourna pour voir une fille plus jeune qu’elle portant un hijab monter l’escalier à toute vitesse et tourner à gauche. Elle resta un moment assis à jouer avec le fil, puis elle se leva et se dirigea vers les toilettes. Comme Léonie avait dit, un petit panneau en plastique était accroché au-dessus d’une porte fermée où elle cogna en appelant son amie.
-Je sors, donne-moi un instant.
-Je viens d’entendre qu’on part bientôt. Je suis pas sûr s’ils vont nous attendre.
-Ils ne partiront pas sans s’assurer que personne n’est resté caché. Tu imagines s’ils ne vérifiaient pas et que quelqu’un était porté disparu ? Ou si-
La porte d’entrée claqua soudainement, faisant sursauter Isa. Léonie, de l’intérieur de la toilette, ne semblait pas l’avoir entendue, et continuait de parler sans réaliser que son amie ne l’écoutait plus.
Isa fit un pas en direction des escaliers. Puis un autre ; sans prêter plus attention aux appels de Léonie, qui lui demandait si elle était toujours là. Puis, elle s’élança dans le couloir, tourna le coin en se tenant au poteau de la rampe, enchaina les marches de l’escalier plus vite que ses pieds ne bougeaient, manqua s’enfarger à trois reprises, et tomba finalement sur les fesses tout en bas, glissant maladroitement sur les dernières marches avant de se relever pour courir vers la porte d’entrée où plus personne n’attendait, pour enfin glisser sur la dernière longueur, la main tendue en direction de la poignée.
Le moteur du camion partit soudainement, et les roues crissèrent sur l’asphalte. Un instant plus tard, Isa ouvrit la porte. Il n’y avait plus personne.
Isa baissa son bras. Soudainement étourdie, elle s’accroupit au sol et se passa une main dans les boucles de ses cheveux, les démêlant. De l’autre main, elle se mit à tapoter sa cuisse du bout des doigts, et elle ajusta sa respiration sur ce rythme. Après un moment, elle entendit l’écho de la chasse d’eau et la porte en bois des toilettes s’ouvrir. Elle se redressa alors et, à reculons, elle rentra dans le manoir, comme si elle faisait marche-arrière sur un film, ferma la porte, et revint vers les marches. Léo arriva peu après, son téléphone à la main.
-Qu’est-ce que tu fais ? dit-elle en descendant l’escalier. On va manquer le camion.
-On l’a déjà manqué.
Léonie s’arrêta et lâcha des yeux son téléphone.
-C’est une blague ? Quel genre d’organisation ne s’assure pas de la sécurité des participants ?
-La même genre d’organisation qui laisse les panneaux de contrôle sans surveillance, et probablement la même organisation qui fait signer des décharges pour se débarrasser de toutes responsabilités.
-J’appelle mes parents. On ne va pas attendre de voir s’ils reviennent, et on n’ira certainement pas marcher dans le bois à cette heure-là.
Léonie se mit à taper les touches de son téléphone, puis s’assit en écoutant la sonnerie. Aussitôt qu’on décrocha pour lui répondre, elle se mit à parler pour expliquer qu’elles étaient restées au manoir sans moyen de revenir. Léo dit ensuite au revoir, et raccrocha.
-Bon, on va rester coincés encore un moment, on est littéralement à l’opposé de la maison, mais au moins on ne va pas passer la nuit ici. Tu viens t’asseoir ?
Isa fronça les sourcils.
-Attends, je crois qu’il y a quelqu’un d’autre ici.
Léonie se redressa et jeta un regard autour d’elles en fronçant les sourcils.
-Tu as entendu quelque chose ? demanda-t-elle en baissant la voix.
-Non. Mais quand tu étais aux toilettes, quelqu’un est remonté pour chercher un truc. Je ne l’ai pas vu redescendre alors je suppose qu’elle est encore à l’intérieur – elle ne doit même pas savoir qu’ils sont partis.
-Bon, dit Léo après un soupir, quand elle arrivera je demanderai à mon père s’il peut-
Les lumières s’éteignirent brusquement. Isa se mit à hurler, aussitôt imitée par Léonie, qui lui donna un coup sur l’épaule.
-Merde, dit-elle la voix tremblante tu m’as foutue la trouille !
Isa voulut lui rendre son coup, mais son poing ne frappa que le vide.
-Tu es où ?
Le visage de Léonie fut soudain illuminé par l’écran de son téléphone.
-Juste là. Je vais voir s’il y a une lampe de poche quelque part.
Isa s’assit sur les marches, les bras entourés autour d’elle-même, et regarda la vague silhouette illuminée de bleue de son amie se promener autour du hall d’entrée, se baissant de temps à autre pour observer les coins. Outre le bruit de pas sur le plancher, il n’y avait pas le moindre bruit.
-C’est une panne d’électricité tu crois ? demanda Isa pour couvrir le silence.
-Peut-être. Ou alors ils ont coupé le courant pour la nuit.
Un bruit retentit alors loin dans le manoir. Isa se leva aussitôt.
-Tu as entendu ?
-Oui. Ça doit être la fille.
Les deux amies se regardèrent en silence.
-Elle doit rien voir dans le noir. On devrait aller la chercher, suggéra Isa.
Léonie jeta un coup d’œil à son téléphone et revint ensuite vers Isa.
-Il est vingt-trois heure. On doit avoir le temps avant que mon père arrive. Tu viens ? dit-elle en montant les marches.
Isa s’empressa de la suivre et, arrivée près d’elle, lui agrippa la main pour éviter de la perdre dans le noir. Elles gravirent l’escalier en silence, Léonie éclairant les marches devant elles, et, sur un signe de tête d’Isa, se dirigèrent cette-fois ci à gauche une fois en haut, à l’opposé des toilettes, en longeant le mur. Jetant un coup d’œil dans chaque pièce, elles parvinrent à l’extrémité du couloir, juste en avant de la porte vitrée d’un balcon qu’un cadenas empêchait d’ouvrir. Sur le côté, cependant, se trouvait un petit escalier sombre menant vers l’étage supérieur qu’emprunta Léonie.
Isa entendit alors le raclement des pieds trainant sur le parquet sale. Figée, sa main moite glissant de la poigne de son amie, elle sentit une main se glisser autour de son cou et serrer, doucement, lui coupant peu à peu le souffle.
Léonie se retourna et haussa un sourcil.
-Qu’est-ce que tu fais ?
La glace qui semblait avoir fait prisonniers ses pieds fondit aussitôt, et Isa se retourna d’un coup pour tomber sur un couloir vide. La prise de la main fantôme s’estompa, et son souffle redevint normal.
-J’ai entendu du bruit.
-Un gros bruit ? dit Léonie en gardant éclairé le couloir. Comme quelqu’un qui trébuche ?
-Plus comme quelqu’un qui marche.
Léonie observa encore un instant en direction du hall, puis saisit la main de Isa et monta les marches.
-C’est peut-être quelqu’un d’autre qui est resté. Viens.
Elle tira Isa, qui paraissait hésitante, et monta l’escalier, qui débouchait sur un couloir plus petit éclairé par une grande fenêtre laissant passer les rayons de la lune. Une seule porte, tout au fond du passage, était ouverte. Les filles s’en approchèrent, l’oreille tendue à l’affut du moindre bruit.
Sortie alors de la pièce une ombre qui se mit à glisser dans leur direction. Isa hurla et voulut aussitôt se défaire de l’emprise de Léonie ; elle frappa alors sa main tenant son téléphone, qui tomba au sol. Isa continua à se battre, criant plus fort lorsque l’ombre s’approcha, et ferma finalement les yeux, incapable de s’enfuir.
La lumière se retourna alors vers elle, et elle ouvrit les yeux avant de les refermer, aveuglée. La lumière baissa.
-Qu’est-ce qu’il se passe ? demanda alors une voix.
Isa ouvrit les yeux. Debout, éclairée par la lune, se trouvait la fille qu’elle avait vu passer dans l’escalier plutôt, à la recherche d’une épingle. Un bout de son hijab pendait et elle le maintenait en place d’une main tout en continuant de les éclairer.
-Le camion est parti, dit alors Léonie. On savait qu’il restait quelqu’un alors on est venu te chercher. Je peux ravoir mon téléphone ?
-Ils sont partis sans nous ? demanda la fille tout en lui rendant le téléphone. Comment on rentre maintenant ?
-On peut te faire un lift, si ça te va.
Comme la fille semblait hésitante, Léonie fit un signe vers la pièce d’où elle était sortie.
-Tu cherchais ton épingle, c’est ça ? On va commencer par la trouver.
Les trois filles restèrent immobiles à se regarder, comme hésitantes à agir, jusqu’à ce que Léonie hausse un sourcil en souriant avant d’avancer à grand pas dans la pièce, aussitôt suivie par la fille; Isa jeta un regard derrière elle et tendit l’oreille, mais comme le bruit de pas n’avait pas recommencé (ou comme les deux personnes l’accompagnant faisait trop de bruit), elle marcha à reculons, le regard toujours fixé vers l’escalier, et ne se retourna que lorsque son dos heurta le cadre de porte.
-Et du coup, demanda la fille en s’accroupissant au sol, vous n’êtes pas entrées par effraction, pas vrai ?
-Non, Léo était aux toilettes quand le camion est parti sans nous, répondit Isa en désignant la rousse, qui s’était assise sur le grand lit à baldaquin au centre de la pièce. Je t’ai vu remonter les escaliers pendant que je l’attendais.
Elle s’interrompit, puis se mit à genoux en face de la fille.
-Moi c’est Isabelle.
-Amina.
Isa lui fit un petit sourire, puis demanda à Léonie de tourner la lumière de l’écran vers le sol, afin qu’elles puissent mieux voir ce qu’elles cherchaient. Agenouillées, le nez collé au sol afin de mieux distinguer l’épingle parmi les moutons de poussière, les deux jeunes filles fouillèrent la chambre en tâtant les recoins les plus sombres, jusqu’à ce qu’un minuscule reflet attire l’attention d’Amina au pied du lit, juste à côté du soulier de Léonie.
Comme Amina réajustait son hijab, les lumières se rallumèrent d’un coup.
-Pile au moment où on n’en a plus besoin, dit Laurie en fermant son téléphone
-Quelqu’un doit être revenu nous chercher, dit Amina.
-Ça serait un peu étonnant, surtout rendu à ce point, dit alors Isa. Un peu tard pour revenir, non ?
Elle avait fini par s’asseoir au centre de la pièce, juste sous le faux chandelier, et son attention s’était aussitôt portée sur les ombres que projetaient les ampoules en forme de chandelles au-dessus d’elle. Sa propre ombre, éparpillée autour de la pièce, bougeait au rythme de ses mouvements, et elle l’observait avec attention tout en tendant une oreille vers les deux jeunes filles autour du lit, qui discutaient quant à la possible raison du retour de l’électricité.
-De toute manière mon père devrait arriver bientôt, et il n’est pas question que j’embarque avec les organisateurs de ce projet ; des plans pour qu’ils nous oublient en forêt ou quelque chose du genre, disait Léonie en tapant le sol avec ses pieds.
Isa, distraite par le bruit, jeta un coup d’œil en direction du lit, et figea, soudainement incapable de prononcer un mot. Là, sous le lit, surgissant comme un fantôme du néant, une main se tendait entre Amina et Léonie en agrippant l’air de ses doigts brisés. Isa ouvrit la bouche, mais sa gorge serrée l’empêchait de parler, et elle regarda la main sortir de l’ombre, suivit par un bras gris de poussière, et les doigts se tendre, s’approcher des chevilles découvertes des deux filles qui parlaient sans réaliser ce qu’il se passait à leurs pieds.

Le temps sembla s’accélérer lorsque la main agrippa enfin la jambe de Léonie et tira. Isa se mit à crier.
Léonie tomba à la renverse et son front heurta le sol dans un bruit sourd. Assommée, la rousse tourna le cou vers l’arrière, ses yeux papillonnants, et elle ne réagit pas immédiatement lorsque le zombi sous le lit se mit à la tirer, sa gueule robotisée s’ouvrant dans un mouvement pour mordre la cheville qu’il ramenait vers lui.
Isa se précipita vers son amie en hurlant et saisit ses deux mains tandis que cette dernière se débattait au ralenti, comme trop endormie pour que l’adrénaline ne la fasse agir. Isa tira alors Léonie vers le haut, mais ses mains, glissantes de sueur, faisaient glisser sa poigne ; elle s’entendit crier des mots qu’elle-même ne comprenait dans l’espoir de faire réagir Léo, et c’est seulement lorsqu’Amina s’accroupit au sol et décrocha un coup de pied sur la mâchoire du zombi que Léonie sembla se réveiller, et elle commença alors à agiter ses jambes dans tous les sens.
-Tire-moi, tire-moi ! cria-t-elle.
-À trois on va tous bouger, dit alors Amina sans cesser de repousser le zombi avec ses coups de pieds. On va tous tirer d’un coup. Un, deux…
Puis, elle fit une roulade sous le lit et frappa la main du monstre robotisé dans un bruit d’aluminium qui s’écrase.
-Trois !
Isa resserra sa prise et tira d’un coup Léonie vers elle au moment même où cette dernière se propulsait hors de sous le lit, et les deux se frappèrent à mi-chemin avant de s’effondrer au sol.
Amina ressortit aussitôt de sous le lit en trébuchant et aida les deux autres à se relever, les tirant dans le couloir vers l’escalier. Isa passa alors son bras autour de la taille de Léonie et aida son amie à suivre Amina, qui boitait devant elles. Elles ne s’arrêtèrent que lorsqu’elles eurent atteint l’étage inférieur.
-C’était quoi ça ? dit Léonie en tentant de s’asseoir – mais, trop étourdie, elle tomba simplement au sol, où elle se mit en petit bonhomme, les mains sur la tête.
-Si le système est reparti alors les zombis doivent aussi être en fonction, dit Isa.
Elle se rapprocha de Léonie et examina sa jambe.
-Es-tu blessée ?
-Non, répondit la rousse après un moment. Enfin si, j’ai l’impression d’avoir reçu un marteau sur le crâne, mais je pensais que j’avais la jambe arrachée.
Elle leva la tête et fixa tour à tour Isa et Amina avant de laisser échapper un rire qui mourut aussitôt.
-J’avais vraiment l’impression qu’il était en train de la manger, tu comprends ? Je suis sûr d’avoir senti ses dents, et en même temps, j’ai l’impression que j’avais la jambe gelée, et je ne sentais rien.
Elle secoua la tête et regarda sa propre jambe, comme ébahie.
-Mais je n’ai rien, Regarde. Ce n’est même pas rouge. Je ne suis même pas certaine s’il m’a serré la cheville.
Les trois filles restèrent un moment en silence.
-C’est le but non ? dit alors Amina en haussa les épaules. Le jeu n’est pas réellement fait pour blesser.
-C’est vrai, poursuivit Isa en réfléchissant, les organisateurs n’ont peut-être pas eu le temps de sécuriser le site, mais les zombis ont dû être testés au préalable. Par «mesure de sécurité», c’était mentionné dans les annonces.
-C’est déjà assez étonnant qu’ils s’y soient conformés, dit Léonie.
Elle fronça le nez.
-Il va falloir bouger d’ici, dit alors Amina en jetant un regard vers le bout du couloir.
Isa regarda avec horreur une file de zombis tituber en montant l’escalier du hall pour s’éparpiller dans le long couloir du deuxième étage. Ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils ne les aperçoivent et se ruent vers elles. Sans même en prendre conscience, elle se tassa sur elle-même et recula contre le mur. Du coin de l’œil, elle vit Léonie blanchir et se tirer vers les marches.
-On fait quoi là, dit cette dernière entre ses dents, on court à travers eux en se basant sur le fait qu’ils sont supposés ne pas pouvoir nous tuer ?
Amina hésita et se mordit la lèvre en regardant Léonie.
-Je ne pense pas que courir fonctionnerait bien dans ton cas.
-Sans blague.
Dans la foule de monstres qui s’accumulait, quelques-uns semblèrent remarquer leur présence et se mirent à avancer dans leur direction.
-Plan b, dit Isa en s’écrasant contre le mur comme pour tenter de disparaitre, on se cache et on attend qu’on vienne nous chercher.
-Parfait, ça me va, approuva Léonie en se levant, chancelant un moment sur ses jambes avant qu’Amina ne l’aide à se tenir debout.
La pièce la plus proche n’était qu’à quelques pas. Isa s’y précipita et prit un moment pour vérifier qu’aucun zombi n’y était caché – hors de question de se faire avoir une nouvelle fois – et elle se retourna en faisant signe aux deux autres de venir la rejoindre. C’en était presque douloureux de voir la lenteur à laquelle Léonie et Amina se déplaçaient. La première, étourdie, avait les jambes si tremblantes qu’elle avait besoin de se faire supporter, tandis que la deuxième avançait en boitant, sa jambe ayant servie à frapper le bras de métal semblait avoir enflée au niveau de la cheville. Isa les regardait marcher en trépignant, la main sur la poignée prête à la refermer aussitôt qu’elles seraient toutes dans la pièce.
C’est alors qu’un zombi tomba de l’escalier, juste derrière les deux blessées. En un instant, le corps se releva et se jeta entre elles et Isa, qui se mit à crier.
-Ok, Ok, qu’est-ce qu’on fait maintenant ? hurla Léonie en titubant vers l’arrière.
-On recule, répondit Amina, les yeux fixés sur le zombi, prête à se sauver au moment où il avancerait.
Isa fit un pas à l’extérieur de la pièce pour les suivre, mais Amina la stoppa immédiatement.
-On n’est pas en danger, rappelle-toi, lui dit-elle en trainant Léonie vers une autre pièce un peu plus loin dans le couloir. Ferme-la porte, assure-toi qu’aucun zombi ne peut passer, et attend-là.
Isa hocha la tête et, le cœur au bord des lèvres, referma la porte sur son amie et Amina, poursuivies par le zombi.
Tout sembla soudainement assourdi. Isa recula de quelques pas, et tomba au sol, vidée de son énergie. Au dehors, elle pouvait vaguement entendre les deux autres filles s’enfuir ainsi que la horde de zombis passer, mais d’un coup tout lui semblait très loin.
Isa était sur le point de s’endormir, lorsqu’elle entendit des murmures provenant juste à l’extérieur de la pièce. Elle hésita un instant avant de se lever et de traverser, sur la pointe des pieds, jusqu’à la porte, qu’elle entrouvrit.
Isa se figea sur place, l’impression que son sang se gelait et bloquait tout mouvement, la transformation en statue de glace. Le zombi se baissa légèrement pour passer sa tête sous le cadre de porte et avança vers elle. La force qui retenait Isa immobile se brisa soudainement, et la bouclée recula au même rythme que le zombi, jusqu’à ce que son dos heurte le fond de la pièce. Elle se laissa alors glisser au sol, recouvrit ses yeux avec ses mains et, la respiration courte, se mit à compter pour se calmer. Elle sentit le zombi se pencher vers elle et elle attendit, le corps crispé, que quelque chose se produise.
Elle sentit alors un courant d’air lui frôler le visage, et elle regarda par-dessus ses mains pour voir un flash de couleur passer devant ses yeux et percuter le côté de la tête du zombi, ouvrant la boite métallique en deux et envoyant le corps au sol.
-Ça va ? lui demanda alors une voix féminine.
Isa ouvrit les yeux et tomba nez à nez avec une adolescente de son âge, une batte à la main, la regardant avec un sourire.
[Dessin de Moss, penchée sur Isa. Oli en fond ? Frappant un zombi.]
Isa attrapa la main offerte et l’inconnue l’aida à se remettre sur pieds.
-Qu’est-ce que tu fais ici ? lui demanda-t-elle.
-J’étais avec mon amie pour la soirée zombis. Mais on a été oubliées sur place.
Isa regarda par-dessus l’épaule de la fille l’autre personne qui était entrée dans la pièce faire balancer son arme de fortune dans les côtes de métal d’un autre monstre.
-Qu’est-ce que vous faites, s’écria-t-elle.
-Relaxe, on se fait juste un peu de fun, répondit l’autre adolescent en esquissant un sourire.
-Est-ce que c’est pas illégal ?
-Totalement, dit alors l’inconnue avec un sourire.
Elles se regardèrent pendant un instant, puis l’inconnue se tourna vers son compagnon.
-Le couloir est libre ?
Celui-ci hocha la tête, et l’inconnue força Isa de les suivre Ils sortirent dans le couloir en longeant le mur, leur batte de baseball à la main, et se dirigèrent vers le hall, sans faire attention à la bouclée qui tentait plutôt de vérifier si Amina et Léonie étaient quelque part non loin.
-Lâche-moi, dit-elle finalement en passant une nouvelle porte ouverte ou elle n’avait même pas pu jeter un coup d’œil.
-Désolée. On essaie juste de t’aider, dit l’inconnue en fronçant les sourcils.
-Merci, mais mes amies sont encore ici et je ne peux pas partir sans elles.
L’adolescent en avant soupira.
-On ne va pas commencer à jouer les gardiennes et à aller les chercher.
-Oli ! l’avertit l’inconnue avec un regard sévère.
Oli se renfrogna.
-On va juste aller fermer le système, reprit l’inconnue en se retournant vers Isa, et elles pourront descendre. Ça te va ?
-C’est vous qui avez ouvert le système ? réalisa Isa.
Oli et l’inconnue se lancèrent un coup d’œil sans répondre.
-À cause de vous deux personnes ont été blessées ! continua la bouclée.
-Ouais, et alors ? Soupira Oli en refermant une porte du couloir juste avant qu’un zombi n’en sorte. Personne ne devait être encore ici. Vous vous êtes mises dans la merde toutes seules.
Avant qu’Isa ne réplique, l’inconnue se plaça entre elle et son ami.
-Plus vite on ferme tout et plus vite tu peux partir avec tes amies, ok ?
Elle jeta un coup d’œil aux deux ; Oli regarda Isa avec dégoût et reprit son chemin vers les escaliers. L’inconnue le regarda faire puis se retourna vers Isa.
-Moi c’est Moss.
Elle se retourna pour suivre son compagnon. Isa resta un moment figée, puis secoua la tête et courut rejoindre les deux. Seuls quelques zombis encombraient le chemin, et Oli leur balança des coups de battes comme si de rien n’était, libérant le passage jusqu’au hall, puis jusqu’à la petite pièce sombre et encombrée dont le vieil homme avait interdit l’accès au début de la soirée.
Oli coinça sa batte sous son bras et se pencha sur l’immense panneau de contrôle qui recouvrait la plus grande partie du mur, examinant avec attention chacun des contrôles avant d’appuyer sur quelques boutons. Aussitôt, les lumières se fermèrent, et on entendit un bruit provenir du panneau, comme une télévision qu’on aurait débranchée.
-Voilà, dit-il en se redressant avec un sourire. Va t’amuser à chercher tes amies dans le noir. Nous on se casse.
Il déposa sa batte et s’en alla. Moss, restée derrière, sembla hésiter un moment entre rester prêt d’Isa et suivre Oli. Elle haussa finalement les épaules et salua Isa d’un petit geste de la main tout en esquissant un sourire avant de sortir à son tour, laissant la bouclée seule.
Cette dernière resta un moment debout en silence, avant de s’asseoir au sol dans l’encadrement de la porte en attendant que Léonie et Amina retourne au hall d’entrée. À peine un instant plus tard pourtant, une silhouette se dessina en haut de l’escalier et descendit les marches en faisant des mouvements saccadés. Isa bondit à nouveau sur ses pieds et recula dans l’ombre de la petite pièce dans l’espoir de ne pas attirer l’attention du zombi.
-Oli ? Murmura-t-elle en se collant dans un coin. Moss ? Je crois que le système ne s’est pas fermé correctement…
Personne ne répondit. Isa remua. Elle pencha la tête et vit le zombi arriver au bas des marches; elle se redressa et retenut son souffle, ses mains venant naturellement triturer l’ourlet de son chandail. Puis, elle ferma les yeux et attendit que le zombi parte.
Mais les pas rampants sur le parquet se rapprochaient, lui indiquant que ça n’arriverait pas. Elle prit alors une grande inspiration pour se calmer et, aussi lentement qu’elle le put, elle longea le mur en prenant garde de ne pas s’enfarger avec les objets éparpillés au sol en se dirigeant vers le panneau de bord où Oli avait laissé son bâton de baseball. Son souffle se coupa lorsque le zombi apparut dans le cadrage, bloquant tout semblant de lumière provenant des fenêtres crasseuses du hall. La main tendue à l’aveugle, Isa s’étira pour attraper son arme de fortune sans oser lâcher le monstre du regard. Enfin, au moment où il s’élançait vers elle, Isa saisit le manche de bois et balança la batte de toutes ses forces sur le zombi, qui s’écrasa sur le panneau.
Un énorme flash lumineux l’aveugla soudainement, et elle crut sentir ses tympans exploser lorsque le panneau éclata, projetant des morceaux de métal et de plastique sur elle. Isa cria et se mit en petit bonhomme, les bras autour d’elle pour se protéger. Un moment plus tard, une fumée grisâtre et nauséabonde emplissait la pièce.
Isa entendit alors un grand éclat de rire et se retourna vivement pour voir Oli, un grand sourire moqueur plaqué sur les lèvres, s’avancer vers elle, Moss sur ses talons.
-Alors, comment on s’en sort avec les zombis ?
Son rire mourut aussitôt lorsqu’il constata les dégâts dans la pièce.
-Shit, mais qu’est-ce que t’as fait ?
Isa sentit des larmes couler sur ses joues et elle les essuya du dos de la main.
-T’es con, dit-elle d’une petite voix.
Moss passa devant Oli et s’agenouilla devant Isa pour l’examiner.
-Est-ce que ça va ? Est-ce que tu es blessée ?
Isa secoua la tête.
-T’as démoli le système, dit Oli en soulevant un morceau de bras de zombi d’où des fils de cuivre s’échappaient en faisant des étincelles. On va vraiment avoir des problèmes maintenant.
Il soupira. Moss tourna la tête vers lui en fronçant les sourcils.
-Ferme-la Oli.
Oli haussa les épaules et sortit de la pièce. Moss soupira à son tour et se tourna vers Isa pour l’aider à se lever.
Dans le hall, Oli se promenait entre les carcasses des zombis qu’il avait brisé et se penchait pour en observer quelques-uns. Il avait gardé le bras robotisé et s’en servait pour bouger les zombis sans les toucher.
-C’est bizarre, dit-il. Le système est fermé, mais ils font quand même du bruit, comme s’ils n’étaient pas arrêtés. Est-ce que ça se peut que…
Il s’interrompit un instant, attirant l’attention de Moss et Isa.
Isa étouffa un cri. Démantibulé au sol, un zombi venait de saisir le bras d’Oli, et mordait à pleines dents sa main.
Du sang coula au sol.