Regrets et leçon, d’Allegra T. Kassombola

J’ai fini par lui rendre visite un matin glacial où le pavé brillait comme un tapis de diamants étalé sous le soleil du petit matin. Cela faisait très longtemps que je ne l’avais pas vu, car, depuis que je suis enfant, sa résidence me donne la chair de poule. Les gens, là-bas, ont l’air si souffrant que c’est comme s’ils étaient constamment à une toux de rencontrer le créateur, ce qui rendait l’atmosphère assez déprimante. Dans le salon, à l’intérieur de ses quartiers personnels, nous nous sommes assises, entourées de livres, tout en sirotant un chocolat chaud avec une douce mélodie en arrière-plan. Enfant d’or, Lionne ; Dis-moi ce que c’est que de conquérir. Enfant sans peur, Garçon Traumatisé ; Dis-moi ce que c’est que de brûler.

« Mamie, je dois faire une présentation pour l’école sur les héros de la seconde guerre mondiale et j’ai choisi les Commandos Hurlants, ce qui ne devrait pas te surprendre, puisque tu sais à quel point je les aime, et, en faisant un peu de recherche, j’ai fini par découvrir quelque chose… »

« Et ce quelque chose en question est…? » dit-elle et, malgré le fait que son visage soit resté neutre, je pouvais voir une lueur d’appréhension briller dans ses yeux. Sa forme tendue n’aidait pas non plus. C’était très suspect, comment elle ne m’avait jamais dit qu’elle avait une sorte de lien avec eux, à l’époque, même si elle savait à quel point je les admirais, mais, à en juger par sa réaction, c’était peut-être parce que les souvenirs qu’elle gardait de ces jeunes hommes avaient été souillés et ternis par… quelque chose?

« Oh! oui, désolé. J’ai fini par découvrir des photos d’eux que je n’avais jamais vues auparavant et dans lesquelles tu te trouvais. Je ne savais pas que tu les connaissais, » lui dis-je, d’un ton accusateur à peine caché.

« Oh, je les connais tous ! Ou, du moins, c’était le cas, il y a longtemps. Je connaissais mieux Logan, cependant. »

« Et comment était-il ? » demandai-je en me penchant avec enthousiasme sur mon siège.

« Il… il aimait se comparer aux ouragans et aux tempêtes. Il disait que c’était à cause de l’obscurité qui semblait pour toujours habiter ses yeux et parce que tout ce qu’il réussissait à créer était du chaos. Je suppose qu’à un certain degré, il avait raison parce qu’il avait un feu dans les veines qui me faisait craindre le froid et désirer les brûlures qui venaient en tandem avec le fait d’être avec lui, mais je n’ai jamais vraiment été d’accord avec lui. À mes yeux, il n’était ni un ouragan ni une tempête, mais une catastrophe. Un total désastre. Une calamité emprisonnée dans une peau cousue, décousue, puis recousue sur elle-même par la rage d’un cœur rempli de haine pour le monde qui l’entoure et d’une âme tourmentée. Une tragédie ambulante qui avait un air de mauvais augure et de promesses de chagrin amoureux qui s’accrochait à elle comme une sorte d’eau de Cologne de haute gamme.

« Ne tombe pas amoureuse de gens comme moi, » me disait-il. « Nous sommes du genre à t’emmener dans des musées, des parcs et devant des monuments, et t’embrasser dans chacun de ces magnifiques endroits, afin que tu ne puisses jamais y retourner sans nous goûter comme du sang dans ta bouche. Nous sommes du genre à détruire ceux qui auront eu l’audace de s’attacher à nous de la plus belle des manières possibles. Et, quand nous les laissons en plan, ils comprennent enfin pourquoi les tempêtes portent le nom de personnes ».

Il m’avait prévenue, mais je n’avais jamais été du genre à écouter les avertissements, car ils me rendaient curieuse. Son âme était imprégnée de noirceur et cette noirceur était si enivrante que je ne pouvais pas m’empêcher de faire passer mes doigts le long de sa colonne vertébrale, comme s’il était mon livre préféré, même si je pouvais à peine le lire, parfois, parce qu’il était son propre langage et ses pages étaient, oh, si fatiguées et déchirées, et, malgré tout ça », soupira-t-elle de manière abattue, « je ne voulais personne d’autre que lui. Je l’aimais plus que tout et c’était ça le problème. J’aurais dû écouter tous ces avertissements. Je n’aurais pas dû tomber amoureuse de quelqu’un qui avait été aussi brisé par le monde dans lequel nous vivons et qui, je savais, me laisserait en sanglots, mais j’avais toujours été le genre de personne à briser son propre cœur et à utiliser ses morceaux pour réparer le cœur brisé des autres. Le genre de personne qui, si vous les mettiez face à face avec le diable, verrait l’ange qu’il était autrefois, ne porterait pas attention à ses péchés, ses cornes et sa queue pointue et choisirait au contraire de se concentrer uniquement sur ses ailes d’ange déchu parce qu’ils ont toujours vu le meilleur chez les gens. Peut-être que si nous nous étions rencontrés à un autre moment, notre histoire aurait pu mieux se terminer, mais la vérité est qu’il n’y a rien de tel que rencontrer la bonne personne au mauvais moment. »

« Ah oui? Pourquoi ça ? »

« Parce que, si nous étions réellement faits l’un pour l’autre, alors il serait avec moi, en ce moment. Tu ne peux pas continuer à vivre ta vie si tu romances et ressasses constamment le passé et tout ce qui aurait pu être si tu avais fait les choses différemment. Il arrive un moment où la seule façon d’abandonner, pour de bon, ce qui était, autrefois, afin de pouvoir réellement passer à autre chose est de réaliser cette simple vérité… Savais-tu qu’il est la raison pour laquelle j’aime autant le ciel nocturne ? »

« …non, je ne le savais pas. »

« Eh bien, maintenant, tu le sais. J’étais tellement sûre que le scintillement et l’obscurité du ciel nocturne provenaient des mêmes ténèbres qui coulaient dans ses veines que cela m’a fait me sentir plus proche des étoiles et que j’ai fini par tomber amoureuses d’elles aussi… » Elle s’est tue, ses yeux ternes et brumeux comme si elle revivait quelque chose qu’elle seule pouvait voir et c’est à ce moment-là que je l’ai vu. Vu comment des yeux de nectar et d’onyx qui ont la magnitude d’un trou noir et qui portent un poids, oh, si lourd que même l’océan n’a pas pu l’entraîner loin, très loin dans son abîme, n’avaient jamais raconté autant d’histoires et, alors qu’elle sortait de sa transe et qu’elle prit une grande inspiration avant de se tourner vers la fenêtre, ses yeux captèrent accidentellement la lueur des rayons du soleil, ce qui rendit facile de voir qu’elle n’était, maintenant, que l’ombre d’elle-même. Et c’est ça qui était si beau et captivant chez elle : le fait que, malgré tout ce qu’elle a vécu, ses yeux avaient toujours cette lueur innocente et enfantine d’espoir parce que, eh bien, qu’y a-t-il de mal à garder espoir? Espérer n’a jamais fait de mal à personne…

Enfant d’or, Lionne ; Dis-moi ce que c’est que de conquérir. Enfant sans peur, Garçon Traumatisé ; Dis-moi ce que c’est que de brûler. Oh, comme c’est cruellement approprié…

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