Connaître la fin, par Claude-Anne Lefrançois

Image générée par DALL-E2

Les oiseaux chantaient le matin où elle reçut le signal de détresse. C’était une journée ensoleillée, la première depuis des semaines de torrents, et elle avait décidé de sortir de sa maison de bois pour voir si un glissement de terrain avait déversé de la terre et des branches dans la rivière, bloquant son flot. Ça arrivait souvent quand il pleuvait trop, et elle avait l’habitude de prendre une journée pour dégager le cours d’eau. La forêt était dense, ses arbres s’étirant si haut qu’il était parfois difficile d’en distinguer les branches. C’était le début de l’été, un jour de juin ou mai — on perdait rapidement l’intérêt pour les mois lorsque l’on vivait comme elle — et l’air était encore humide des pluies. Les oiseaux chantaient et les renards sortaient leurs museaux des sous-bois. Un parfum de terre et de nature remplissait l’air, porté par une douce brise qui venait caresser ses longs cheveux châtains. 

Elle avait apporté sa radio, une vieille machine noire avec plus de boutons que de fonctions, car il arrivait parfois, quand elle s’aventurait assez loin, qu’elle réussisse à attraper le signal d’un poste musical.  

Ce matin-là, cependant, ce fut un message de détresse qu’elle capta. À travers le grésillement constant de la radio, elle réussit à discerner certains mots qui avaient tout de suite attiré son attention : « S.O.S » « détruit » et « Montréal ». Montréal, la ville qu’elle avait quittée. Cela devait faire cinq ou six ans. Difficile à dire : elle avait aussi perdu l’intérêt pour les années  

Elle avait décidé de se construire une nouvelle vie ailleurs, parmi les oiseaux et les fleurs sauvages. Loin des humains. C’était son père qui lui avait appris le langage des plantes et l’art de survivre. Après que la maladie lui avait volé sa mère et que l’alcool lui avait pris son père, elle avait souvent rêvé d’une vie solitaire et recluse, une échappatoire à son mal-être quotidien. Lorsque les premiers ouragans avaient frappé la côte, elle s’était décidée. Il n’y avait plus rien qui la retenait dans cette vie misérable. Elle avait économisé son argent et avait trouvé une petite maison et un terrain se situant au fin fond d’une des dernières forêts encore inexploitées de la région. Elle avait mis sa vie dans ses bagages ; il n’y avait pas grand-chose à quitter de toute manière et plus grand-monde non plus à qui elle manquerait. Son père lui avait bien dit : il n’avait pas besoin d’une fille qui ne faisait que l’empêcher de vivre comme il voulait.  

Elle n’avait pas à se préoccuper des éléments ; elle avait complètement rénové le toit du chalet lorsqu’elle était arrivée afin de le rendre assez coriace pour supporter la lourde couche de neige qui s’y installait chaque hiver. Les murs en pierres étaient épais, résistant sans problème au froid, à la grêle et aux vents violents. Son père, celui de ses souvenirs, aurait été fier. 

La petite maison comportait un potager, dont elle s’occupait avec une grande attention et beaucoup d’amour. Cela, elle le tenait de sa mère. Quand elle avait encore assez d’énergie, sa maman faisait pousser les fleurs les plus vives du quartier dans leur cour. Armée de ses pinceaux, elle passait des après-midis entiers sur son chevalet, à peindre son jardin. 

Lorsqu’elle avait quitté Montréal, elle avait pris tout le matériel de peinture de sa mère. Elle s’était sentie coupable de voler ce dernier souvenir à son père, mais il ne le remarquerait pas de toute façon. La dernière fois qu’elle l’avait vu, il était à peine conscient de la présence de sa propre fille dans la pièce.  

Elle avait ainsi commencé à peindre, bien qu’elle n’eût pas grand talent. Au début, elle reproduisait les arbres et les animaux de la forêt. Puis elle avait commencé à peindre son ancienne maison comme elle était avant, avec la vieille horloge qui ne donnait jamais la bonne heure, le canapé rouge, le vase de fleurs fraîches sur la table à manger, les tableaux de sa mère et le désordre dans la cuisine quand elle décidait soudainement de faire des soupes. Les jours heureux, il lui arrivait de peindre quelques portraits de ses parents. Sous son pinceau, sa mère retrouvait sa vitalité, sa peau chaude et ses joues rondes. Son père avait de nouveau le regard rieur et à son poignet, une montre en cuir brillait, le cadeau que la femme lui avait offert lorsqu’elle avait reçu sa première paie.   

Les jours plus sombres, elle peignait une silhouette seule au milieu de scènes de désolation, de déserts et de forêts sans feuilles. 

La vie dans les bois était parfois difficile, mais elle était paisible. Elle n’utilisait même plus l’électricité ; elle n’en avait pas besoin. Elle avait un poêle à bois, et la chaleur de la cheminée était tout ce dont elle avait besoin pour réchauffer sa cabane en hiver. Après tout, les températures froides n’étaient plus ce qu’elles étaient depuis une décennie ; la neige ne durait jamais très longtemps, et elle fondait rapidement. Elle vivait au rythme des saisons et de la terre, et elle aimait ce train de vie. Entourée comme elle l’était par les bois, il n’y avait plus personne pour la juger, aucun regard moqueur ou rire à moitié caché qui accueillait ses maladresses.  

C’était pour préserver cette paix qu’elle hésita longuement avant de répondre à l’appel. C’était ridicule, elle le savait. Une personne appelant à l’aide ne s’attendrait pas à ce qu’elle vienne lui faire la conversation, mais elle avait passé sa vie à éviter les autres comme la peste, surtout depuis la mort de sa mère. Elle s’était distancée du peu d’amis qu’elle possédait avant : elle ne supportait plus les regards de pitié, les commentaires sympathiques sans fin et les questions trop personnelles sur son état et, surtout, sur celui de son père. Elle avait souvent l’impression que des milliers d’yeux la scrutaient partout où elle allait, attendant qu’elle fonde en larmes. Elle était la pauvre fille dont la mère était morte du cancer, abandonnée par son père devenu alcoolique.   

Et pourtant, ce jour-là, elle se décida à sortir de sa forêt. Personne n’avait jamais voulu d’elle, mais une personne quelque part avait besoin d’aide, avait besoin d’elle, et elle ne pouvait ignorer cet appel de détresse simplement parce que les gens lui faisaient peur.  

Quelques années auparavant, peut-être qu’elle l’aurait ignoré sans remords, mais plus maintenant. Elle s’était décidée. Peut-être que c’était l’euphorie du printemps ou la magie du temps, mais elle sortirait de sa chère forêt pour la première fois depuis qu’elle y était entrée et irait à la rescousse de cette personne en détresse.  

Il y avait peut-être eu un tremblement de terre ou une inondation à la ville. Ce ne pouvait pas être un ouragan ou une tornade puisqu’elle aurait également senti son passage. Ce n’était probablement pas un incendie non plus ; ils étaient communs dans le sud, ravageant parfois des villes et des régions entières, mais beaucoup plus rares dans le nord où elle habitait. De toute façon, elle aurait vu la colonne de fumée au loin. Mais un tremblement de terre — oui, peut-être : maintenant qu’elle y pensait, elle avait senti des secousses il y a quelques jours.  

Ces phénomènes géologiques ou météorologiques extrêmes n’étaient pas rares, bien qu’ils l’eussent été auparavant. Maintenant, on comptait au moins un caprice de la nature par mois. Pour elle, nichée dans le cœur de la forêt et protégée par les montagnes autour, c’était un problème qui était devenu presque trivial.   

Un plan commença à se dessiner dans sa tête alors qu’elle dégageait le flot de la rivière, obstrué par des feuilles pourries de l’automne dernier et de lourdes branches ayant atterri là à la suite de vents violents. Au moins, ce n’étaient pas des déchets. Lorsqu’elle avait déménagé dans la forêt, le fleuve était pollué de bouteilles et de sacs que des randonneurs avaient laissés sur leur passage. Un jour, la débauche des humains entraînerait leur perte. Depuis quelques années pourtant, ils devenaient de plus en plus rares. Elle ne se souvenait même plus du dernier humain venu dans les parages.   

De retour à sa maison, elle ramassa tout le matériel nécessaire : une trousse de premiers soins, des couvertures, des lampes de poche, beaucoup d’eau et plusieurs mètres de corde. Elle fixa pendant un bon moment les deux vestes de sauvetage qu’elle possédait. Si c’était une inondation, elles pourraient être utiles mais, si c’était bien un tremblement de terre comme elle le croyait, elle aurait l’air bien ridicule. En soupirant, elle décida tout de même de les apporter. Ça valait la peine. On ne sait jamais.  

Lorsqu’elle fut enfin prête à partir, il faisait nuit. Elle aimait beaucoup la nuit. À la ville, chaque soir présentait le même tableau ; une toile sombre et noire, la lune luttant pour garder son éclat au travers de la fumée des usines et de la pollution lumineuse causée par les gratte-ciels et l’éclairage urbain. Ici, dans la forêt, c’était tout le contraire. La forêt s’inclinait, la nuit venue, pour laisser place à une voute céleste étincelante et infinie. Elle avait essayé de compter les étoiles, mais elle n’avait jamais réussi : deux nouvelles s’ajoutaient pour chaque astre calculé. C’est ainsi que, sous l’œil bienveillant de la lune et les lumières infinies des étoiles, elle quitta finalement la forêt.  

Les bois étaient sombres, mais elle empruntait une route familière ; il aurait été difficile de s’en écarter. Lorsqu’elle quitta le territoire de la nature sauvage et libre, ce furent les champs qui l’accueillirent. Alors qu’elle s’en approchait en roulant doucement — il y avait peut-être des gens ayant besoin d’aide, on ne pouvait jamais être trop prudent —, elle s’aperçut assez rapidement que tous les champs étaient complètement ravagés. La plupart des plantations étaient détruites et mortes, la terre était craquelée et retournée à plusieurs endroits, sa couleur grisâtre à peine visible sous les tonnes de déchets jetés à perte de vue. Elle ne vit aucun signe de vie, aucune personne, pas même un animal. La seule chose qui détonnait dans ce paysage de désolation était un panneau jaune en forme de triangle, portant le symbole de la contamination radioactive.  

Elle s’enfonça davantage dans la campagne, mais partout où elle passait, elle trouvait des ruines. Les maisons étaient laissées à l’abandon ou détruites, leurs fondations étant pour la plupart la seule chose encore intacte. Elle sentit son cœur s’affoler et essaya de se rassurer en se disant que la ville ouvrait souvent des centres communautaires et gymnases lors de catastrophes naturelles pour accueillir des personnes dont la résidence avait été touchée. Il était possible qu’un tremblement de terre eût détruit les habitations et que tous les habitants eussent simplement trouvé refuge ailleurs, bien qu’elle n’ait jamais vu de trace d’un exode si drastique.  

« Tout ira bien, » tenta-t-elle de se convaincre, en serrant les mains sur son volant et en secouant la tête.   

Elle aurait dû faire demi-tour et retourner dans la forêt. Elle aurait dû accepter cette destruction et retrouver le confort de sa cabane et de ses murs résilients, la mélodie douce des oiseaux, l’air frais de la forêt et ses souvenirs nostalgiques de jours plus heureux. Et pourtant, elle continua son chemin avec une appréhension grandissante. Une heure plus tard, elle se trouva aux portes de la ville.  

Elle fronça les sourcils, tentant de distinguer quelque chose, quoi que ce soit dans la pénombre. En temps normal, la lumière des gratte-ciels était si forte qu’elle rendait inutiles les lampadaires sur les rues. Il y avait peut-être eu une panne générale dans la ville?   

Son ventre se serra alors qu’elle emprunta en sens inverse le boulevard qui l’avait autrefois menée vers sa nouvelle vie. Elle ne croisa aucune voiture, aucun passant. Il y avait dans l’air quelque chose de malsain, de sale et de lourd. Tout semblait trop immobile : l’autoroute sur lequel elle avait passé, les maisons qu’elle avait aperçues en biais… Pas une seule lumière ne semblait vouloir éclairer son chemin. Les battements de son cœur s’affolèrent, et une douleur dans sa mâchoire lui fit se rendre compte qu’elle serrait les dents depuis quelques minutes déjà.  

« Respire, respire », murmura-t-elle. Sa voix tremblait.  

Non, quelque chose n’allait pas du tout.  

Elle comprit lorsqu’elle arriva enfin au cœur de la ville, sur l’avenue où se trouvait autrefois la maison de son enfance. Son cœur s’arrêta, et elle freina brutalement. Elle se trouvait complètement figée sur place, ses mains collées au volant tandis qu’un sentiment d’horreur viscéral s’empara de son être.  

Sous la lumière de ses phares, les vestiges de Montréal, la ville qui l’avait vu naître et grandir se dévoilaient. Elle pouvait apercevoir autour d’elle les gratte-ciels affaissés, leurs fenêtres cassées et les longues fissures sur leur façade. Des vignes grimpaient le long des murs, s’abreuvant de la destruction. Les rues étaient en ruines, des morceaux de ciment fracassé se mélangeaient aux débris des bâtiments tout autour. Des pièces de véhicules semblant avoir été brulés ou avoir explosé parsemaient les trottoirs. Seuls les arbres occasionnels et la broussaille ayant poussé dans les crevasses donnaient encore un signe de vie, tout en absorbant l’air poussiéreux de la déchéance. 

Les parois de sa petite voiture semblèrent soudainement se refermer sur elle. Ses poumons étaient devenus une cage de fer ; elle ne pouvait plus respirer. Sa gorge se serra, et des larmes brouillèrent sa vision. De ses mains tremblantes, elle ouvrit la portière et commença à s’extirper de sa voiture avant de s’effondrer sur le trottoir. Les battements de son cœur résonnaient en cacophonie dans ses oreilles, et sa respiration devenait courte, trop courte. Une odeur putride et corrompue monta à ses narines, et elle toussa pour la chasser.  

Son regard se posa sur sa maison d’enfance. Elle était pulvérisée, ses murs de briques et ses fenêtres en vitraux n’étant plus qu’un amas de gravats et de poussière. Le toit était affaissé sur lui-même, et le grand lilas devant la porte s’était écroulé sur la brique de la façade. Le jardin de sa mère était détruit, ses fleurs colorées devenues brunes et pourries. 

« Non, non, non », se murmura-t-elle, comme si la formule chasserait le cauchemar devant ses yeux?  

Elle leva les yeux vers sa maison d’enfance, les larmes qu’elle n’avait pas senti couler encombrant sa vision. Comment était-ce possible? Quel cataclysme avait rayé de la carte une ville aussi importante que Montréal et ses alentours? Comment n’avait-elle rien senti de sa forêt? Une brise froide courait entre les immeubles à l’abandon, sifflant dans ses oreilles.  

« Il y a quelqu’un? » cria-t-elle. Seul un écho désespéré lui répondit. Elle était seule au monde, au milieu d’une cité de ruines qui avait autrefois accueilli des millions d’habitants. 

Elle s’appuya sur sa voiture pour se relever et courut vers sa maison. Elle ouvrit la porte violemment, cherchant désespérément n’importe quelle forme de vie. Elle grimpa les escaliers, s’enfargeant sur les débris encombrant les marches. Il ne restait plus rien du vestibule d’entrée. Dans le salon, le fauteuil rouge avait été réduit à des miettes dévorées par des vermines. Les tableaux de sa mère gisaient au sol, face contre terre. Des fragments des armoires et des murs reposaient partout dans la pièce. 

La cuisine était tout aussi détruite que le reste de la maison. Elle trouva, à côté des débris de verres de ce qui avait été un vase, un journal. Les mains encore tremblantes, elle l’attrapa, frottant furieusement ses paupières pour faire disparaître les larmes.  

QUATRIÈME TREMBLEMENT DE TERRE À VENIR, disait l’entête. Le gouvernement rappelle à tous les citoyens d’évacuer la région le plus rapidement possible à la suite des séries de catastrophes naturelles frappant la grande région de Montréal depuis les dernières semaines.  

Elle chercha frénétiquement le haut de la page avant de laisser tomber le journal comme s’il l’avait brulé.  La date affichée lui sembla en avance d’au moins une quinzaine d’années. C’était impossible. Elle reprit délicatement le journal. La date n’avait pas changé. Sur le mur, elle trouva le calendrier dont la moitié des pages étaient déchirées. Encore une fois, l’année indiquée semblait en avance d’au moins quinze ans par rapport à ce qu’elle aurait dû être.  

Son esprit étant trop embrouillé, elle fit le calcul sur ses doigts. Elle se souvenait parfaitement de l’année où elle était partie et, si elle la soustrayait à celle dans le journal, cela faisait… vingt ans. Cela faisait vingt ans qu’elle vivait dans la forêt! Était-ce possible?  

Sur ce qui restait de la chaise berçante, elle trouva un petit carnet. Elle reconnut le nom de son père sur la couverture : Éric Thomas. C’était un journal de bord. La gorge serrée, elle feuilleta le carnet. L’encre avait coulé sur presque toutes les pages, sauf les dernières, les plus récentes.  

Vingt ans, quatre mois et vingt jours depuis le départ de ma fille. Il y a eu une autre alerte d’urgence aujourd’hui : aux nouvelles, on demande à tous les derniers survivants d’évacuer la ville.  Je ne peux pas partir. Je sais qu’elle est partie à cause de moi, et je sais qu’elle ne veut plus me revoir après ce que je lui ai dit. Si je meurs ici, mon plus grand regret sera les paroles que j’ai dites à ma fille, et la façon dont je l’ai laissée à elle-même après la mort de Catherine. J’ai été un père horrible, mais je ne peux pas m’empêcher d’espérer qu’un jour, peut-être que mon petit amour déciderait de revenir à la maison. Je n’ai pas le choix, je dois rester ici. J’espère que peu importe où elle se trouve, elle est en sécurité. 

Des sanglots s’échappèrent de sa gorge alors qu’elle s’écroula par terre, serrant le journal dans ses bras. Son pauvre père, qui était resté dans la ville à l’attendre, alors qu’elle était partie faire sa vie ailleurs. Elle tourna délicatement la page.  

Vingt ans, quatre mois et vingt-et-un jours depuis le départ de ma fille. Mon petit amour, je ne sais pas si je vais survivre les prochaines semaines, alors je t’écris cette lettre, espérant qu’au moins, mes sentiments puissent te rejoindre au-delà de la mort. Quelques mois après ton départ, j’ai commencé une désintoxication. Ça fait maintenant plus de dix-neuf ans que je ne bois plus une goutte d’alcool. J’ai réalisé, trop tard, l’ampleur de mes erreurs.  Je suis désolé que tu m’aies eu comme père. J’aurais voulu être plus résilient et plus fort. Je suis désolé pour ce que j’ai fait ; je n’ai jamais pensé les atrocités qui sont sorties de ma bouche. Tu es le trésor de ma vie et ma plus grande fierté. Même si j’ai été un père incompétent et que je ne mériterai jamais ton pardon, dans une autre vie, j’aimerais que tu sois ma fille de nouveau, pour qu’on puisse tout refaire et que j’aie le temps de te dire à quel point je t’aime. 

Je serai toujours avec toi,  

Papa  

Reniflant entre deux sanglots, elle se leva, tremblante. Ses pas la guidèrent vers la chambre de ses parents. Elle ne savait pas ce qu’elle espérait trouver. Son père, assis à la table de la cuisine? Une garde-robe vide, qui lui ferait savoir qu’il était parti à temps?  

Elle s’assit sur le lit à moitié détruit, prenant sa tête dans les mains. Si seulement elle était retournée à la ville plus tôt, elle aurait revu son père, elle l’aurait pris dans les bras et ils auraient été heureux, comme avant. Vingt ans! Elle avait passé vingt ans dans les bois, tandis que le monde tout autour avait été annihilé, ne laissant derrière que désolation et ruine.  

Un scintillement attira son attention parmi les débris. Sa respiration se coupa alors qu’elle reconnut l’objet. C’était la montre qu’elle avait offerte à son père, attachée autour d’un poignet inerte et bleui. Des insectes bourdonnaient autour de la main, dont les ongles étaient tombés.  

Un cri de douleur s’échappa de ses lèvres alors que sa main tremblante couvrit sa bouche. Elle secoua la tête. Non, non, non. Ça ne pouvait être son père. Pas après qu’il l’ait attendu pendant vingt ans, pas après qu’il ait préféré faire face aux catastrophes naturelles plutôt que de manquer la chance de la revoir.  

Non. Il était mort, et c’était sa faute.  

Elle sentit le monde tourner autour d’elle et, devenue spectatrice de son propre corps, elle vit ses jambes la porter en dehors du bâtiment et vers sa voiture, dans laquelle elle monta et fit marche arrière pour s’enfuir de nouveau de Montréal, comme elle l’avait fait pour la première fois une vingtaine d’années auparavant.  

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